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menteuse. Au fond, elle est très vraie. Rectifiez sa déposition à l’aide des autres témoignages historiques et vous lui rendrez toute la valeur d’un document. L’impression d’ensemble, d’abord un peu confuse, finit par se préciser. C’est celle d’une vitalité débordante et mal réglée, d’une force qui, ne sachant que faire d’elle-même, se prodigue et se gaspille. Des signes d’enfance mêlés à des signes de décadence. Comment expliquer cela, sinon en disant que cette jeunesse vigoureuse, capable de tout, même du bien, a eu pour précepteur un vieux libertin. Ce vieux libertin, c’est le XVIIIe siècle, le nôtre, moins la philosophie et moins la révolution, c’est-à-dire quelque chose d’infiniment frivole et méprisable. Ce spectacle n’a rien de rassurant. Où va cette société sur laquelle le savoir et l’intelligence n’exercent point leur légitime autorité, où le plaisir est la loi unique, où les vieillards ne sont tolérés qu’à la condition d’être plus tous que les jeunes gens, où les maris et les femmes se perdent de vue à peine mariés, où la mère est la camarade de sa fille en attendant qu’elle en soit la rivale, où le père bourru gourmande les folies de son fils jusqu’au moment où le récit d’une bonne farce lui fait ouvrir sa bourse et où tous deux achèvent la réconciliation en se grisant de compagnie ?

Quand Rowlandson nous mène à la foire de Saint-Barthélémy ou dans les bouges de Saint-Gilles, nous voyons que le peuple ne vaut pas mieux que l’aristocratie. Bien plus : il y a sympathie, ressemblance, communauté de plaisirs. Le fait s’est déjà présenté et se présentera encore dans l’histoire des mœurs. Il existe une affinité entre la canaille d’en haut et la canaille d’en bas. C’est l’écume et la lie : l’une surnage, l’autre tombe au fond, l’essence nutritive est entre les deux. Que faisait, en Angleterre, la classe moyenne ? De même que l’histoire ne dit rien des peuples heureux, la caricature ne s’occupe pas des classes moyennes. C’est, pour Rowlandson, Gillray et leurs joyeux camarades, une terra incognito, Une fois, Rowlandson s’y est risqué. Il nous a montré Peler Plum qui a un intérêt dans les docks de Wapping et dans le marché aux bœufs de Smithfield, ronflant auprès de sa moitié qui dort comme lui ; entre eux, une bouteille de Porto et un bol de punch vides ; devant le garde-feu un caniche ventru, endormi comme ses maîtres, pendant que, derrière le dos de sa mère, miss Plum se laisse courtiser par un amoureux très entreprenant. Ce n’est là qu’un regard jeté en passant sur un intérieur