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L’Opéra italien conservait sa vogue en 1802, puisque la Femme du monde y trouvait « un monde fou. » Mais le ballet avait encore plus de succès. Les dernières années du XVIIIe siècle avaient vu une grande révolution. Certaine danseuse française, nommée Mlle Rose, avait introduit le maillot couleur de chair sur la scène anglaise en raccompagnant de nouveautés chorégraphiques que Vestris, le « dieu de la danse, » eût désavouées au nom de l’art et qui tirent jeter les hauts cris aux moralistes. Le banc des évêques s’émut ; le Parlement retentit de leurs plaintes où le patriotisme joignait ses argumens à ceux de la vertu. La France, disait-on, désespérant d’envahir John Bull, cherchait à le corrompre. Gillray montra les évêques jouant le rôle d’habilleuses et fabriquant avec leurs surplis, pour Mlle Rose et ses camarades, des jupes assez longues pour sauvegarder la pudeur.

Sans vouloir flatter l’hypocrisie britannique dans une de ses prétentions les plus chères, l’historien des mœurs a le devoir de reconnaître que lorsqu’un nouveau vice s’établit en Angleterre, lorsqu’une forme nouvelle de la débauche y apparaît, on découvre invariablement la greffe exotique. C’est un aventurier zuricois, nommé Heidegger qui avait introduit les bals masqués à Londres ; ce fut une artiste étrangère, Mme Cornélys, qui les y ramena après quinze ou vingt ans d’interruption. Au moment du tremblement de terre de Lisbonne, Londres s’était cru menacé du même sort en punition de ses péchés. « Nous expions l’horrible licence des bals masqués, » criaient les prédicateurs populaires. On les écouta et, pendant longtemps, les fêtes de ce genre furent rayées de la liste des plaisirs permis. Quand on essaya d’y revenir et de donner encore des bals masqués, les plaisans appelaient cela « donner un tremblement de terre. » Mme Cornélys trouva le prétexte voulu, elle inventa le bal de charité et l’on sait si ce moyen de gagner le ciel en risquant l’enfer a fait fortune. « Il s’agissait, disait-elle, de procurer du charbon aux pauvres pendant l’hiver. » De nouveau on se déguisa. L’un représentait l’influence de la Cour et marchait suivi de la Ruine publique. Un autre, blanc de farine et noir de suie, était meunier d’un côté et ramoneur de l’autre. Un troisième était vêtu d’un maillot et d’une feuille de figuier : Adam dans le Paradis terrestre. Un quatrième, en cadavre, se promenait à travers la fête, enveloppé de son suaire et portant son cercueil sous