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haine que leur inspirent toutes les choses françaises et qui va sans cesse croissant. Il y a cent ans, la culotte et le pantalon étaient pour les Français des signes de ralliement, comme la cocarde blanche et la cocarde tricolore. Pour les Anglais, ce n’étaient qu’une culotte et un pantalon. Entre 1780 et 1810, ils ont changé de costume ; ils n’ont pas changé d’âme.

Sur le chapitre de l’évolution des modes, la caricature abonde en moqueries, et ces moqueries n’ont eu qu’à vieillir pour devenir des documens. D’abord, c’est Henry Bunbury qui nous présente le parfait macaroni. Horace Walpole qui a vu éclore le macaroni, attribue la genèse de cette espèce nouvelle à la conquête du Bengale et à l’enrichissement fabuleux de quelques individus qui en fut la conséquence. C’était, à l’en croire, un effort de génie pour mettre la dépense à la hauteur des bénéfices. Il s’agissait d’élargir les fenêtres anglaises pour jeter plus commodément son or dans la rue. Cela se peut, mais le mot de macaroni suggère une idée différente. En somme, c’est une forme de l’exotisme qui sévit périodiquement en Angleterre, mais qui n’est qu’une maladie de peau. Comme les macaronis prétendaient avoir des mœurs, des goûts, des vices à part, ils voulaient aussi se distinguer du commun des hommes par leur costume. L’un d’eux m’apparaît dans une gravure de l’Universal Magazine. Il a l’air sérieux, important, qui convient à un pontife de la mode Un énorme paquet de cheveux noués en bourse sur la nuque ; un tricorne microscopique planté sur le sommet du crâne. Gilet brodé à fleurs, culottes rayées, bas chinés : le tout collant comme un maillot de danseuse. Cette toilette a pour complément une canne pareille à celle d’un suisse de cathédrale.

Les macaronis firent un bruit énorme et disputèrent aux femmes pendant quelques années le glorieux privilège d’occuper les caricaturistes. Puis ils disparurent et de nouveaux objets accaparèrent l’attention. En première ligne les parapluies et les ballons qui eurent des fortunes très différentes. Lorsqu’un honnête excentrique promena pour la première fois, au bout d’une tige de bois ou de fer ce petit toit d’étoffe colorée qui protégeait sa tête contre les intempéries du climat anglais, on le hua et on lui jeta de la boue. Sui eum non receperunt. Personne ne devina la place que ce petit meuble allait prendre dans la vie anglaise. En revanche, les aérostats excitaient un véritable délire. On en parlait tant que le docteur Johnson,