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Et pourtant Thackeray a raison. Les innombrables mauvaises actions de George IV ne nous livrent pas le secret de sa personnalité. Elle nous échappe si bien qu’on en vient à se demander s’il a été vraiment quelqu’un, et si ses vices étaient à lui. On ne lui avait appris que des gestes. Son gouverneur, Lord Harcourt, le harcelait de phrases comme celles-ci : « Monseigneur, tenez-vous droit ! Monseigneur, les pieds en dehors, je vous en supplie ! » D’opinions politiques, il n’en eut jamais. Tout petit garçon, pour faire enrager son père qui l’avait grondé, il scandalisait les échos de Windsor en répétant le cri de la canaille londonienne : « Vive Wilkest Vive le n° 45 ! » Ainsi tout le long de sa vie. Libéral par dépit et par haine, il alla plus loin dans le torysme que le plus entêté et le plus obtus des squires de village, quand son intérêt le voulait ainsi. Ses passions sont, comme ses opinions, des accidens. Sa sensation du moment s’appelle successivement Mary-Ann Robinson, Mrs Filzherbert, Caroline de Brunswick, Lady Jersey ; elle porte mille autres noms et souvent elle n’a pas de nom. Quand il mourut, on trouva une prodigieuse garde-robe : uniformes militaires, habits de chasse, habits de gala, déguisemens de toute sorte que sa vanité de cabotin royal s’épuisait à inventer. Toute son âme était dans cette défroque. Il n’avait fait que jouer des rôles et ne laissait derrière lui que des costumes[1].

Bunbury et Rowlandson l’ont ménagé, parce qu’ils appartenaient, à des degrés différens, à ce monde du plaisir élégant dont il était le modèle et l’idole. Gillray est moins indulgent. Il nous le montre jouant le rôle de Charles Surface dans la scène des portraits à l’enchère, l’une des plus originales de la spirituelle comédie de Sheridan, The School for Scandal, alors dans toute la nouveauté et l’éclat de son succès. Assisté de son âme damnée, le colonel Hanger, qui s’improvise commissaire-priseur, il vend au plus offrant et dernier enchérisseur les toiles qui représentent ses ancêtres et tous les membres de la famille royale. On sait quel est le trait qui rachète et sauve Charles Surface : pris d’un bon sentiment, il refuse de vendre le portrait de son oncle et le vieillard, présenta la scène sous un déguisement, lui pardonne tout le reste pour ce seul mouvement. Rien de tel chez le prince

  1. Depuis que ces lignes ont été écrites, j’ai appris que George IV se plaisait à jouer la comédie ; qu’il avait pris des leçons de plusieurs acteurs, notamment du vieux Matthews, qu’il imitait eu perfection.