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accès, monter la garde. Pour soutenir leurs forces, ils n’avaient que du café et du sulfate de quinine. Ils s’abstenaient rigoureusement des boissons alcooliques, et, si l’on a cru en France devoir reprocher aux colons algériens de s’adonner à l’absinthe et aux spiritueux, ce n’est certes pas la génération de colons dont nous parlons qui mérita ce reproche. Dans les cafés et les cantines, on ne débitait que du café, des eaux minérales et de la quinine. Cette dernière était même devenue d’un usage si général et si fréquent qu’on ne l’appelait plus que la consommation. Aller prendre la consommation, c’était aller prendre un verre de solution de sulfate de quinine coupée plus ou moins d’eau minérale. Mais le remède était impuissant contre la maladie. Les défrichemens et l’assèchement du marais continuant, la cause subsistait toujours et le mal persistait. Débiles, livides, ballonnés, les yeux et la face jaunis, se soutenant à peine sur leurs jambes molles et enflées, ces malheureux faisaient grand’pitié à voir. Leur lamentable aspect leur avait valu une triste renommée et, à Alger, on disait couramment d’un homme dont le faciès montrait qu’il était atteint dans ses œuvres vives par la cachexie palustre : « Il a une figure de Boufarik. »

L’histoire de cette ville, pendant les dix premières années qui suivirent sa fondation, est un lamentable nécrologe. Le 2 juin 1837, vingt et un ouvriers occupés à des travaux de fenaison à 800 mètres de Boufarik, et qui avaient eu l’imprudence de mettre leurs armes en faisceaux à une trop grande distance du lieu de leur travail, sont massacrés ; au mois de mai 1840, quatorze cultivateurs sont enlevés ; vingt-deux faucheurs et disciplinaires sont tués le 8 juin suivant et, cinq jours après, une nuée de cavaliers, s’abattant sur les quelques faucheurs de Boufarik encore vivans, tuent vingt personnes et en blessent vingt-cinq. Et la population de Boufarik n’était alors que de 150 personnes ! La fièvre achevait d’enlever ceux que le fer et les balles de l’ennemi n’avaient pu atteindre. Dans le seul mois d’octobre 1840, quarante-huit fiévreux étaient emportés. En quelques années, Boufarik dévora trois générations d’hommes. La population dut être renouvelée trois fois.


IV. — SAC ET DESTRUCTION DES ÉTABLISSEMENS EUROPÉENS DANS LA MITIDJA ET LE SAHEL. — RUINE GÉNÉRALE DES COLONS

Malgré ces tueries et ces pillages, ces vexations et ces misères, la colonisation ne s’en développait pas moins. Durant cette