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Si encore ils n’avaient en à défendre leur vie que contre le fer et le feu des Hadjoutes ! mais ces infortunés colons eurent encore affaire à un ennemi autrement redoutable que tous les brigands et les écumeurs de la plaine. L’emplacement de Boufarik avait été, à cette époque où l’administration militaire se souciait assez peu des règles de l’hygiène, choisi précisément dans l’endroit le plus vaseux, le plus foncièrement malsain de la Mitidja, là où la plaine se déprime en une sorte de cuvette où venaient se confondre et mêler leurs eaux en un inextricable lacis les torrens de l’Atlas. En ce point on voyait un vieux puits à dôme grisâtre et quatre vieux trembles qui dressaient leur frondaison au-dessus d’un affreux défilé marécageux. Tout autour les flaques d’eau couvraient 20 hectares et entre elles ce n’étaient que fondrières et forêts de joncs impénétrables, semées d’îlots fourrés de maquis et de broussailles, de ronces et d’oliviers rabougris. On n’accédait à ce point que par des sentiers qui suivaient les renflemens du sol à travers des enfoncemens bourbeux et des marécages enchevêtrés de joncs et de roseaux, et qui n’étaient que des chaussées boueuses que pétrissaient les pieds nus des Arabes. Le pays était délicieux pour le sanglier, la bête fauve et le gibier d’eau, délétère pour l’homme. Le premier travail auquel durent se livrer les colons fut l’assèchement du marais. Il leur fallut creuser des fossés pour donner de l’écoulement aux eaux, puis régulariser, élargir, approfondir les cours d’eau, qui venus des montagnes étaient la cause des inondations. La besogne fut extrêmement pénible et dangereuse. Ils durent tout d’abord se frayer un chemin au travers d’un fouillis inextricable de joncs et de roseaux, puis exécuter des travaux de déblais et de remblais, tantôt assis, tantôt debout sur des fondrières, les jambes continuellement dans l’eau et dans la vase. Plusieurs s’enfoncèrent dans ce sol mouvant et disparurent. Tous sans exception furent empoisonnés par les exhalaisons miasmatiques des marécages. Les uns succombèrent aux accès pernicieux, les autres y laissèrent leur santé qu’ils ne purent jamais recouvrer complètement. Le chiffre de la mortalité annuelle chez les colons s’éleva à un cinquième et certaines années à un tiers. En 1842, sur 300 habitans, 92 mouraient des fièvres pernicieuses. L’ambulance ne désemplissait pas ; les lits étaient insuffisans. La plupart des colons en furent réduits à grelotter la fièvre sur des paillasses au fond de leurs gourbis, et, à peine remis, ils devaient, entre deux