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crénelée ou mieux valait-il une grille en fer ? On se décida enfin pour l’enceinte continue. On entoura d’un retranchement toute la portion de territoire comprise entre l’oued Chifa et l’oued Harrach, à nous reconnu par le traité de la Tafna. Dans ce rectangle on réserva à la colonisation faire d’un triangle dont le sommet fut Blidah et la base une ligne tirée de Fouka à l’embouchure de l’Harrach. Les côtés du triangle, moins la base qui s’appuyait à la mer, furent fortifiés au moyen d’un large fossé avec parapet garni de blockhaus. On éleva des murs, on creusa des ravins, on escarpa les berges des cours d’eau, on détruisit les gués. On ne livrait ainsi aux colons que le Sahel et une partie de la Mitidja avec les territoires de Blidah et de Koléah. Ce fut le Parc de colonisation, et on compta bien que les Européens ne pourraient le franchir. Mais ce fut peine perdue. Les colons n’écoutèrent pas les exhortations des bureaux arabes et ne se laissèrent pas arrêter par la ligne de défense. Ordre fut alors donné de leur refuser toute aide et assistance, et tous les commandans de corps et de blockhaus eurent pour consigne de ne faire aucune sortie en armes pour quelque motif que ce pût être, sans une autorisation expresse. Les colons avaient voulu s’établir à leurs risques et périls, eh bien ! on leur laisserait faire la guerre à leurs dépens ; et en effet on les laissait se tirer d’affaire comme ils pouvaient ; ils furent réduits à organiser des patrouilles avec les indigènes à leur service, à faire eux-mêmes la police de la plaine et du Sahel, et à courir sus aux bandits. Si encore on avait observé la neutralité à leur égard ! Mais bientôt l’autorité militaire prit ouvertement parti contre eux en faveur des Arabes, elle commença par refuser aux Européens des munitions, puis défense fut faite aux sentinelles de tirer sur les Arabes, même quand ceux-ci passeraient à portée de fusil, emmenant avec eux le produit de leurs méfaits.

C’était donner une prime au brigandage et pousser à la spoliation des Européens. Mais l’on fit mieux encore. Ces enragés colons s’obstinant envers et contre tous à aller de l’avant et à s’établir au-delà du pays militairement occupé, on prit à leur égard une mesure inouïe : consigne fut donnée aux sentinelles de tirer sur tous les Européens qui, pour quelque motif que ce fût, essaieraient de franchir la ligne des postes fortifiés. En présence d’un ordre aussi atroce, plus d’une fois, j’imagine, l’arme dut trembler aux mains du soldat, et sans doute les balles furent souvent intelligentes et dévièrent. De malheureux colons, qui allaient travailler