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obligés de se rendre à Alger. On n’avait ni moyens de communication, ni voies d’accès d’une agglomération à l’autre ; il n’y avait de routes presque nulle part. Même dans la plaine, les voituriers ne pouvaient suivre les sentiers arabes coupés à chaque ruisseau par des ravins profonds. Seules les bêtes de somme pouvaient s’en tirer. Aller à Alger vendre du blé devenait une véritable expédition ; à défaut de routes, les chariots, traînés par des bœufs, suivaient de mauvaises pistes ; il n’y avait pas de ponts ; à chaque rivière, à chaque ravin on déchargeait la voiture qui passait d’abord avide ; les hommes ensuite transportaient d’une rive à l’autre les sacs de blé sur leur dos. Avec ce système, on mettait un jour entier pour parcourir dix kilomètres et de Blidah à Alger, le voyage durait quatre jours. Très souvent les colons étaient obligés de recourir pour leurs charrois aux bons offices des tribus arabes des environs d’Alger qui possédaient à cette époque de nombreux chameaux et qui faisaient avec ces botes des transports dans un rayon de cinq à six lieues. Les colons, on peut le dire, créèrent de grandes choses là où il n’y avait rien, firent prospérer leur œuvre dans des conditions absolument anormales, et cette œuvre si remarquable ne coûta à la métropole ni soucis ni un écu.


III. — LA POLITIQUE DE L’ADMINISTRATION A L’ÉGARD DES PREMIERS COLONS

Certes, les critiques n’ont pas manqué à ces premiers colons. Officiers et soldats qui vivaient en contact avec eux avaient la plaisanterie facile à leur adresse et appelaient volontiers la petite agglomération de colons qui se formait à côté du camp : Mercantiville, Biscuitville, Coquinville. A la vérité, les nouveaux venus n’étaient pas, en général, favorisés des biens de la fortune : ce ne sont pas les millionnaires qui le plus souvent s’expatrient ; plusieurs étaient, en quelque sorte, des évadés de la société régulière et n’avaient pu, jusqu’alors, en raison de l’indépendance de leur caractère, se fixer nulle part ; quelques-uns même, il faut le reconnaître, pouvaient ne pas être sans passé judiciaire. Mais, comme on sait, pauvreté n’est pas vice et quant à ceux qui avaient quelques fautes à se reprocher, la vie qu’ils menaient suffisait à elle seule à racheter leur passé et aurait dû les rendre estimables aux yeux de tous ; leur existence était rude et pleine de périls : en station, logés sous la tente ou sous des baraquemens, en colonne, accompagnant les soldats et faisant des charrois, ils avaient