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hauteur, quelle patience il la défend contre l’amie qui lui paraît si près de la méconnaître ! D’abord, il tachera de l’intéressera ce qui l’intéresse lui-même. Parti pour le Val Richer, il lui écrit en y arrivant.

« Je suis arrivé ici par le temps le plus noir, la pluie la plus épaisse, les plus sales chemins qui se puissent imaginer. La Vallée est verte, fraîche, couverte de fleurs, parée pour recevoir le soleil qui ne vient pas. Ainsi va le monde. Le soleil manque à la verdure, et la verdure au soleil. Aussi quel ravissement quand ils se rencontrent ensemble quelque part, un moment ! En toutes choses, dans la nature ou dans l’âme, nous ne faisons qu’entrevoir la perfection. Mais quand on l’a entrevue, comment peut-on laisser retomber plus bas sa pensée ?

« J’ai très peu dormi en voiture. Je prenais quelque plaisir à veiller pendant que tout le monde dormait autour de moi, comme si j’en avais été un peu moins en voyage, resté un peu plus à Paris ! Que notre cœur est inventif et subtil à se créer des illusions si vaines, si fugitives que la pensée ne peut même les saisir, et pourtant elles plaisent ! Mes enfans ont très bien dormi. Ils se réveillaient pour me demander du sucre, des cerises. Ils dorment profondément depuis trois quarts d’heure, fatigués du voyage, de leur joie ; ils se réveilleront demain en chaulant, en sautillant, comme les oiseaux de ma vallée. Je voudrais vous envoyer, j’aurais voulu vous laisser un de mes enfans. Ah ! que de vains désirs ! Adieu. Je vais me coucher. Je dormirai. Je suis fatigué. Vous vous couchez aussi en ce moment. Adieu. Donnez, dormez donc… adieu. »

Il est charmant ce tableau familial, et charmante aussi l’image de la vallée qui attend le soleil. Mais, la grâce de l’un, le caractère touchant de l’autre ne suffisent pas à bercer la douleur de l’amie, à la consoler de l’absence qui s’annonce longue. Il lui faut mieux et plus ; il lui faut de « douces paroles. »

« De douces paroles, répond-il, je ne vous en enverrai jamais, je ne vous en ai jamais dit d’assez douces à mon gré. Vous craignez que je ne sois mécontent. Non, je ne suis pas mécontent. Je vous aime trop et je vous connais trop bien pour l’être jamais. Mais je suis triste, triste comme je ne puis pas ne pas l’être. Je vous ai demandé un jour comment on faisait pour avoir de l’humeur sans en avoir contre quelqu’un. Je ne puis admettre qu’à cause de notre séparation vous ayez de l’humeur contre