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être, elle avait peine à se contenir, toujours vibrante de cette affection dans laquelle elle s’était jetée avec une exclusivité, un entier oubli de ce qui n’était pas « lui. »

Le 28 juillet 1838, ils venaient de se séparer ; elle lui disait : « Ah ! que le temps va être lourd, insoutenable. J’en suis accablée d’avance. J’ai envie de pleurer vingt fois le jour. Je suis si abandonnée, il me semble qu’il y a un an que je ne vous ai vu. Où trouver du courage ? Adieu, je vais relire votre lettre, mais la relire, c’est pleurer. Donnez-moi de la force. » Et lui de répondre : « Vous me demandez de la force, j’en ai eu beaucoup dans ma vie, jamais avec le sentiment que j’en avais assez. Bien souvent, au contraire je me suis senti sur le point d’en manquer. Je ne puis vous donner que beaucoup d’affection. Faites-en de la force si vous pouvez. Je le voudrais bien. Près de vous je l’espère. Mais de loin ! Il y en a pourtant à prendre à cette source, même de loin. »

À cette source, malheureusement pour elle, elle ne puisait jamais assez de courage. Il lui fallait la présence réelle, seule condition de bonheur, puisqu’elle seule permet le constant échange de pensées, les longues confidences, celles qu’on n’épuise jamais, à la faveur desquelles on apprend à se connaître. Sur ce point, il pensait comme elle : « Nous nous sommes beaucoup écrit, beaucoup parlé. Que de choses pourtant nous ne nous sommes pas dites. » Mais, il se résignait, attendant de l’avenir la plénitude de ces jouissances de l’amitié que la séparation empoisonnait. Plus impatiente que lui, elle ne se résignait pas. Obligée, en 1838, pour le règlement de ses affaires, d’aller à Baden, pendant qu’il était au Val Richer, il arrivait qu’un jour, au cours de ce voyage, elle se voyait privée de la lettre quotidienne qu’elle avait coutume de recevoir de lui, et aussitôt elle éclatait : « Comment ! pas de lettre de vous ! Au nom de Dieu ne me donnez pas de ces inquiétudes. Je n’y puis suffire. Il me semble maintenant que le plus grand des malheurs pour moi serait de rester deux jours sans nouvelles de vous. Je ne pense qu’à cela depuis hier cinq heures, l’heure de la poste. J’ai été bien loin dans les montagnes, dans les forêts. Il faisait si beau, il y ferait si beau avec vous ! Je n’aurais besoin de rien, de personne, ce qui se passe dans le monde me serait indifférent. Vous ne sauriez croire à quel point cette image me plaît. Et puis j’étais si triste ! si triste ! si triste ! Vous êtes si loin. » C’est à la