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Cependant, par aucun trait, ne se révéla qu’elle déméritait aux yeux du tsar. Il est vrai que son départ se pouvait justifier par l’état de sa santé qu’avait subitement aggravé un cruel événement survenu dans sa vie. Un de ses fils venait de mourir. Elle en avait déjà perdu un quelques mois auparavant. La perte du second, celui qu’elle préférait, fut encore plus déchirante pour son cœur et ne légitimait que trop l’ardent désir qu’elle avait conçu de s’éloigner de Russie. Elle partit donc avec le consentement de l’empereur, tout spécialement chargée de lui écrire avec régularité, comme elle le faisait lorsqu’elle était ambassadrice, afin de lui transmettre le résultat de ses observations sur les hommes et les choses de la politique continentale. Son mari ne fit aucun effort pour la retenir. Depuis longtemps, quoique vivant sous le même toit, ils étaient séparés.

En 1836, elle était à Paris, mais à titre provisoire, sans intention de s’y fixer, n’y prolongeant son séjour qu’en raison de l’accueil quelle y recevait et de son désir de se familiariser avec un milieu « tout égalitaire, » si différent de ceux où elle avait vécu jusque-là. Ses goûts aristocratiques s’accordant bien mieux avec les habitudes anglaises qu’avec les habitudes françaises, c’est Londres qui l’attirait, Londres où elle avait laissé tant de relations, tant d’amitiés, tant de souvenirs. Cependant l’année 1837 la trouva encore en France, très intéressée parce qu’elle y voyait, perfectionnant son éducation politique, reçue aux Tuileries, dans le faubourg Saint-Germain, dans les salons de la diplomatie, déjà mêlée à tout et sur tout disant son mot. Le 2 janvier, Metternich écrivait de Vienne à l’ambassadeur d’Autriche à Paris : « Je suis surpris que vous ne me nommiez plus jamais ni le prince de Talleyrand, ni le comte Pozzo di Borgo, ni la princesse de Liéven… Elle doit se remuer dans un sens quelconque, car, il n’est pas dans sa nature de rester tranquille. »

Quinze jours plus tard, Charles Gréville venu à Paris pour quelques semaines, mentionne dans son journal que Mme de Liéven paraît s’y être fait une situation des plus agréables. « Elle est chez elle tous les soirs et, son salon étant un terrain neutre, tous les partis s’y rencontrent, si bien qu’on y voit les adversaires les plus acharnés, engagés dans des discussions courtoises. Sa présence à Paris dans de semblables conditions doit être fort utile à sa cour, car une femme comme elle sait toujours glaner quelque information intéressante et utile. Elle s’y plaît