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vivait séparé, courait le monde en triste compagnie, promenant de toutes parts les scandales provoqués par son inconduite. Pour la remplacer a la cour, le prince régent avait recouru à ses maîtresses, l’ancienne : lady Hertford, et la nouvelle : lady Coningham. Afin de justifier leur présence auprès de lui, il invitait fréquemment les femmes du corps diplomatique et notamment l’ambassadrice de Russie. De là, les mauvais bruits qui coururent alors sur elle, à la suite de ses rapports quasi quotidiens avec le prince.

Il semble bien que ces bruits aient été calomnieux, comme d’autres qui circulaient à son sujet de 1818 à 1820. À cette époque, elle était engagée dans une liaison, joie et tourment de sa vie, qui l’absorbait tout entière et la rendait très insensible aux hommages que lui prodiguaient les gens parmi lesquels elle vivait. Au Congrès d’Aix-la-Chapelle, elle avait rencontré Metternich. A la faveur d’une intimité promptement nouée, elle s’était prise de passion pour lui comme lui pour elle. Aucun autre homme, fût-ce même le prince régent d’Angleterre, n’aurait pu la détourner de l’objet qui remplissait son cœur, ni la distraire de la douleur qui la dévorait depuis qu’elle avait dû se séparer de celui que Louis XVIII appelait « le cher amant, » sans savoir quand elle le reverrait. En février 1819, lorsque Gréville nous la montre en proie à son incommensurable ennui, elle était revenue à Londres depuis un mois. Elle ne se consolait pas de l’éloignement de Metternich. Par surcroît elle commençait une grossesse pénible que la vivacité de ses souvenirs devait lui rendre plus douloureuse encore. L’ennui s’expliquerait à moins. Au reste, pour préciser les causes du sien, il suffit de citer quelques lignes d’une lettre qu’un mois avant ses couches, le 3 septembre, elle écrivait à Metternich du château de Midleton où lady Jersey la recevait.

«… Rien ne me fait du bien comme un voyage. Je suis à merveille ce soir parce que j’ai fait soixante et dix milles. Si tous tes jours je faisais ce chemin, je serais bientôt auprès de toi. Mais, mon ami, malgré mes efforts, il faut que je reste. Dis-moi donc, que deviendrons-nous ? Peux-tu soutenir l’idée d’une plus longue séparation encore ? Enfin, si nous nous sommes résignés pour l’année 1819, crois-tu possible de le faire pour l’année 1820 ? Dis-moi, Clément, qu’allons-nous devenir ? Penses-tu à cela ? »

« Il faut que je reste ! Qu’allons-nous devenir ? » Ce cri de