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intéressant d’examiner avec lui le plan qu’il a suivi, et d’en observer l’exécution dans ses diverses parties.

« L’usage contemporain, dit Littré, est le premier et principal objet d’un dictionnaire. C’est en effet pour apprendre comment aujourd’hui l’on parle et l’on écrit qu’un dictionnaire est consulté par chacun. » Il est clair qu’il définit ici, non tout dictionnaire, mais celui qu’il a voulu faire. Il a entendu par « contemporain » tout ce qui est postérieur à Malherbe : il n’enregistre en principe, — sauf quelques exceptions qu’il justifie par des raisons de sentiment, — que les mots employés au XVIIe siècle et aux deux siècles suivans. Mais les enregistre-t-il tous ? et où les puise-t-il ? Il ne s’est expliqué clairement que sur deux ou trois points. Il a d’abord inséré tous les mots du Dictionnaire de l’Académie (édition de 1835) ; puis il a ajouté, — sans parler d’un certain nombre de mots qu’il a trouvés dans les auteurs classiques et que l’Académie n’avait pas donnés, — de très nombreux termes de métiers, d’arts et de sciences, recueillis dans des ouvrages spéciaux : il a ainsi enrichi dans une très forte proportion le vocabulaire français enregistré[1]. Il ne dit pas expressément comment il s’est comporté à l’égard des néologismes : en fait, il leur a été assez hospitalier. Il notait au passage dans ses lectures, — je ne parle pas de celles qu’il faisait en vue du Dictionnaire, — les mots nouveaux qu’il rencontrait, et les introduisait à leur rang, en prenant soin d’ordinaire d’indiquer la source où il puisait, livre, discours, article de revue ou de journal, ce qui permet à chacun d’apprécier la valeur des auspices sous lesquels le mot se présente. On lui a cependant fait un reproche de cette facilité ; mais, — sans vouloir, comme d’autres lexicographes, recueillir tout ce qui a été imprimé n’importe où et n’importe par qui, — il ne prétendait pas, comme l’Académie, restreindre son choix aux mots d’un usage approuvé : on ne peut donc lui en vouloir de ses indulgences ; on peut seulement trouver qu’elles sont quelque peu arbitraires et fortuites[2].

  1. Il est curieux que Littré semble s’être systématiquement abstenu, sans doute par une méfiance excessive, de consulter, ce qui paraissait si indiqué, les dictionnaires antérieurs autres que celui de l’Académie (sauf les dictionnaires techniques). Il y aurait cependant trouvé plus d’un mot digne d’être accueilli et plus d’une bonne définition. Ainsi le mot moison, « part de grain que le fermier doit à son maître, » mot bien français, anciennement attesté et encore usité, manque dans Littré, bien qu’il soit dans Nicot, Oudin, Richelet, Furetière, Trévoux et autres.
  2. On constate, en étudiant le dictionnaire de Littré, que les mots nouveaux se multiplient à mesure qu’on avance dans l’alphabet : cela tient en partie aux lectures plus nombreuses de l’auteur, en partie à sa tolérance de plus en plus grande.