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emploi des mots français, à l’époque où s’est préparée chaque édition, les personnes qui, — par une convention dont le bien-fondé est variable et sujet à contestation, mais qui en gros n’est pas sans doute bien éloignée de la vérité, — étaient censées le mieux parler et le mieux écrire la langue française.

Je dis : « une idée approximative. » Même en supposant que les académiciens ne lissent appel qu’à leur sentiment sans recourir à l’autorité, et que tous l’exprimassent sur chaque mot, ils se montreraient d’ordinaire en théorie beaucoup plus timides qu’en pratique : la moyenne de leurs opinions exprimées serait moins hardie que la moyenne de leurs opinions réelles et surtout que la façon de parler et d’écrire de la plupart d’entre eux. L’idée du purisme, de la noblesse et de l’élégance du langage nous est inculquée, dès l’enfance, par notre éducation littéraire ; nous l’oublions facilement, en écrivant et surtout en parlant, pour donner à notre pensée une expression ou nouvelle ou au contraire courante ; mais elle reprend son empire quand il s’agit de juger et surtout de légiférer : nous devenons alors extrêmement circonspects. On se permet des choses qu’on ne se permet pas de déclarer permises. Je voudrais qu’un patient travailleur composât un dictionnaire qu’on pourrait appeler le Dictionnaire des Académiciens : on n’y mettrait que des mots ou des sens exclus du Dictionnaire et employés dans leurs écrits par des membres de l’Académie. Pour s’en tenir au XIXe siècle, depuis Bernardin de Saint-Pierre jusqu’à M. Lavedan, en passant par Victor Hugo, Dumas et Labiche, on recueillerait une opulente moisson, dont tous les épis ne seraient pas de bonne qualité, mais où se trouverait certainement beaucoup de grain non encore récolté. La principale curiosité de ce relevé ne serait pas dans les excentricités de tel novateur ou les vulgarités voulues de tel réaliste, mais dans le fait qu’on ne trouverait certainement pas un seul académicien qui se soit strictement limité au vocabulaire de l’Académie. On ne peut dès lors s’attendre à ce que la foule toujours grossissante des gens qui manient la plume se soumette à une législation que les législateurs eux-mêmes n’observent pas.

Le Dictionnaire de l’Académie, en fait, n’a exercé, du moins au point de vue du lexique, aucune influence sur l’évolution de la langue : il n’a fait que la suivre et la constater, encore avec un sensible retard. Voltaire écrivait en 1761 : « Le Dictionnaire