Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/229

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne tardera pas à se déclarer du côté des puissances. Votre papa voit pourtant toujours de même. M. Detré, cordon rouge et député, est aussi tranquille sur les événemens, les voyant sortir de la même source et non par la faute de l’Assemblée, mais du pouvoir exécutif, qui, agissant en sens contraire, cause nos maux. Les changemens de tous les ministres leur donnent espoir que cela changera : ils les ont suivant leur goût. (Ministère Roland.) Votre papa donne la préférence aux tous des Jacobins, et en élaguant, comme vous croyez bien, les vrais enragés, il n’approuve pas du tout les Feuillans. Il y a vraiment trois cents membres du milieu qui deviennent, dit-on, majorité. Ceux-là ne font pas grand bruit, mais sont très utiles en ce qu’ils calment la fougue des deux partis. »

Mai 1792. — « On ne peut se faire une idée de ce qui se passera d’ici à deux ou trois mois. Si la rage des émigrés éclate, ils nous écraseront. Les Parisiens sont bien décidés à faire belle résistance à l’avance, près d’être chassés de l’Assemblée. Rentrons chez nous sains et saufs, voilà ce qu’il peut arriver de moins malheureux. Votre respectable père persiste toujours à croire que la Constitution doit résister à tout. Ce serait le troubler dans ses jouissances que de le contrarier en lui prouvant le contraire. Je ne lui en dis plus mot. »

Même mois. — « Nous touchons à la crise : il y a longtemps qu’on l’annonce, mais un peu de fermentation, des propos, font croire qu’elle s’achemine. Jusqu’ici, l’Assemblée s’occupe, peut-être un peu tard, de dénonciations, elle se met en garde ; sa ruine est sans doute décidée… (par la Cour, dans la pensée de Mme de Marolles.) Je m’abonne donc à être renvoyée comme gens de la noce. C’est un peu humiliant, mais, comme je n’en ai jamais douté, mon parti est pris : j’irai retrouver mon cher Marolles. »

Juillet 1792. — « Admirez le courage héroïque du roi. Il n’est vraiment grand que de ce jour de 20 juin)… Cette crise est violente : elle ne l’est pas moins pour nos émigrés, qui ne se soutiennent qu’à l’ombre de chimères. »

Septembre 1792. — « L’affaire du 10 (août) a fait une explosion qui fait avancer les choses. Elle a été mal combinée de la part de la Cour et mal exécutée, parce qu’on n’était pas assez sûr de la garde nationale qu’on employait… Il est bien prouvé que l’Assemblée devait sauter. Le peuple, irrité de la trahison, s’est porté à des violences affreuses depuis… Ce complot de la Cour avait eu lieu parce qu’elle était informée que les faubourgs devaient venir faire une pétition au roi pour qu’il lève le vélo des prêtres. »

Même mois. — « Cette Assemblée n’ayant pas assez de pouvoir pour prononcer un point aussi grave (la déchéance du roi), je trouve qu’elle s’en est tirée avec esprit. Elle s’est contentée de suspendre le roi et de le loger au Temple avec la famille royale, complètement en prison, mais bien en sûreté, ne voulant lui faire aucun mal. Qu’il est à plaindre !… Ceux des suisses et des gardes qui sont restés en ont trop dit pour ne le pas trouver coupable malgré soi. Cette pensée me fâche, moi qui l’aimais, mais je ne puis me refuser à l’évidence… Comme j’ai tant discuté le pour et le contre, je ne sais pas sous quel règne nous serons le plus heureux. Quant à moi personnellement, on annonce une proscription si réelle pour les députés de cette législation que je ne puis désirer voir entrer ici le roi de Prusse. Je