Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/221

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

permet de reconstruire la petite société dont Coulommiers était le centre en l’an de grâce 1789. On n’en retrouverait plus l’équivalent aussi près de Paris ; mais elle ne différait guère, semble-t-il, de la société qui gravite de nos jours autour du chef-lieu d’arrondissement, dans un département éloigné. Si quelque grand seigneur menait dans ce canton de la Brie l’existence somptueuse de l’ancien régime, nos documens l’ignorent. Ils ne nous laissent voir qu’un monde paisible et modeste, répandu pendant la belle saison dans les gentilhommières des alentours, rassemblé l’hiver dans les maisons de la ville. La petite noblesse y confinait à la bourgeoisie aisée.

Rien, dans la structure sociale de ce monde, ne justifiait l’idée fausse que l’on se fait de la France d’alors, quand on l’imagine symétriquement étagée, séparée en castes tranchées, impénétrables les unes aux autres. Ce préjugé nous vient sans doute des historiens qui ont trop exclusivement concentré leur attention sur l’empyrée de Versailles, et aussi de la nécessité politique qui fit reparaître entre les trois ordres, aux premiers jours de la Constituante, des distinctions formelles en train de s’effacer dans la pratique journalière. A la fin du XVIIIe siècle, la pénétration entre les classes était constante ; les vieilles cloisons cédaient sous la poussée des mœurs, l’instinct de sociabilité, le pouvoir grandissant de l’argent. Un bourgeois bien étoffé, pourvu de quelque épargne, achetait une charge et un fief noble dont il prenait le nom ; ces acquisitions ne lui donnaient pas la qualité, comme on disait alors, mais elles le faisaient participer aux droits de la classe privilégiée. Les charges à l’encan étaient innombrables : offices de judicature et d’administration, places honoraires dans la maison du roi et dans celles des princes. Il y avait six mille charges de secrétaires du roi qui conféraient la noblesse. En 1789, lorsque les assemblées provinciales nommèrent leurs députés aux Etats-Généraux, le nombre des anoblis par les charges y dépassait de beaucoup celui des nobles de race et même des anoblis pour services militaires. En dehors de cette accession légale aux privilèges du premier ordre, la fusion des classes s’accomplissait insensiblement, dans les cercles provinciaux, par la communauté des intérêts et des plaisirs. Les fortunes ascendantes y luttaient d’abord contre la résistance des anciennes vanités ; celles-là imposaient bientôt à celles-ci le pacte éternel que l’orgueil fait avec l’argent. Si l’on en juge par les