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IV

Un dernier alignement de falaises, de 40 kilomètres de longueur, de Dieppe au Bourg d’Ault. C’est toujours le même grand mur crayeux, vertical, d’une hauteur moyenne de 80 à 100 mètres, coupé de dentelures et de créneaux, dont les vagues viennent battre le pied deux fois par jour et qui s’éboule peu à peu dans la mer. Au-devant, les galets cheminent lentement et sans arrêt, de plus en plus petits à mesure qu’ils roulent et se convertissent peu à peu en sable. Ce sable et ces galets ont comblé toutes les anfractuosités, qui très certainement, à l’origine de notre ère, étaient des criques et pouvaient à la rigueur donner abri aux petites embarcations.

L’une d’elles, Biville-sur-Mer, n’est plus qu’une fente, un ravin abrupt entaillé dans la falaise. C’est dans ce couloir presque inaccessible que Cadoudal, Pichegru et leurs amis vinrent débarquer le 21 août 1803 et se firent hisser au moyen de cordes, dans la folle et criminelle espérance de prendre une revanche sur l’insuccès de la machine infernale de la rue Saint-Nicaise. Le ravin est encore quelquefois appelé la « gorge de Pichegru. »

Un peu plus au Nord, la valleuse où coule l’Yères a été pendant longtemps un golfe assez profond, qui conduisait à Criel. Criel est à présent à 2 kilomètres de la mer. Mais, avec la marée, les bateaux pouvaient y remonter assez facilement, il y a quelques siècles. La belle falaise de plus de 100 mètres de hauteur qui domine le petit estuaire a été sapée à la base, coupée à pic. Elle s’est éboulée en partie, s’éboulera encore, et ses débris barreront bientôt complètement l’entrée de la vallée.

D’assez mauvaises cartes du XVIIIe siècle désignent sous le nom de « côte des Sept vallées » les derniers kilomètres de la muraille rocheuse depuis la vallée d’Yères jusqu’à celle du Bourg d’Ault, où la falaise cesse tout à coup et où commencent les grèves de la Somme[1]. Cette dénomination est assez bien trouvée. Ces sept vallées, en effet, — peut-être même davantage, — ont existé autrefois ; et, par les dentelures de la falaise que nous voyons encore, on pouvait pénétrer dans des couloirs plus ou moins étroits, aujourd’hui presque complètement obstrués,

  1. J. Girard, les Rivages de la France, op. cit.