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maintenait à une profondeur suffisante pour permettre l’entrée des navires de 600 à 700 tonneaux. Le chenal se trouvait alors tout à fait à l’Ouest de la ville actuelle, au pied même de la falaise à laquelle est adossé le château, presque sur l’emplacement du casino moderne. C’était l’embouchure naturelle par où s’écoulaient les eaux réunies de l’Eaulne et de la Béthune et qu’on appelait la rivière d’Arques. Cette embouchure constituait le port de Dieppe et portait le nom de « port de l’Ouest. » La poussée des galets n’a cessé de le déplacer vers l’Est, et tous les efforts laborieux de l’époque ne purent le maintenir. On dut l’abandonner, et on ouvrit, un peu à l’Est, un nouveau chenal, ce que l’on appelle si bien sur les côtes de l’Adriatique et de la Méditerranée un « port » ou un « grau, » portus, gradus, porte, passage. Ce « port » fut l’émissaire des eaux de l’Arques, qui conserva pendant un certain temps une largeur et une profondeur suffisantes et qui prit naturellement le nom de « port de l’Est. » Il longeait l’ancienne Tour aux Crabes, malheureusement démolie avec l’enceinte des remparts, et dont il ne reste que quelques assises inférieures le long du quai moderne où stationnent les paquebots qui font le service de Dieppe à Newhaven. Le banc de galets avançait cependant toujours. Les premières jetées, de construction assez rudimentaire d’ailleurs, étaient disloquées après chaque tempête. En 1459, Charles VII, qui comprenait toute l’importance stratégique de Dieppe en face de l’Angleterre, en avait décidé la réfection et le prolongement ; mais les habitans, auxquels devait incomber l’entière charge de ces travaux dispendieux, ne purent y apporter tous les soins nécessaires. Exécutés sans ordre, sans méthode, sans ressources suffisantes, ils ne résistèrent pas longtemps à la mer. En 1610, une de ces marées formidables qui occasionnent toujours des avaries même à nos meilleurs ouvrages modernes les anéantit presque complètement et fit crouler une partie de la falaise de l’Est. Le port fut comblé de ses débris, et le chenal violemment rejeté contre la nouvelle falaise découpée à vif. C’est le chenal actuel.

Dieppe est donc un port qui s’est à la fois transformé et déplacé. Tout d’abord, à l’origine de notre ère, port intérieur dans le fond d’un golfe, il s’est peu à peu rapproché de la mer au fur et à mesure que le golfe se comblait par les atterrissemens de sa rivière et est devenu au moyen âge tout à fait littoral. Le port, à proprement parler, n’était que l’embouchure de la vallée de