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barrée, en aval, par un énorme banc de galets toujours menaçant et contre lequel on est sans cesse obligé de lutter.

Sans les travaux modernes, les chasses énergiques et surtout les dragages répétés que l’on exécute dans le chenal, la valleuse de Dieppe aurait même fini par être comblée comme tant d’autres ; mais pendant longtemps le golfe a présenté des facilités d’accès que le port moderne ne retrouvera plus.

Il est même certain que les alluvions de la Béthune et les apports de la mer ont pu lentement s’amasser au fond du golfe sans nuire d’une manière sensible à ses bonnes conditions nautiques. Tout au contraire, on peut penser que le banc de galets, qui s’est formé depuis la falaise au pied de laquelle se trouve le pittoresque château tourelé du XVe siècle et qui constitue aujourd’hui la grève qu’on appelle assez improprement la plage, a été pendant un certain temps une sorte de mur d’abri, une véritable protection pour tous les bateaux mouillés dans le golfe. Tant que ce musoir naturel n’a pas dépassé quelques centaines de mètres, il a eu naturellement pour effet de déplacer peu à peu la passe vers l’Est. Le rétrécissement de l’entrée avait même l’avantage d’amortir les coups de mer ; et la rade, trop largement ouverte dans le principe et dans laquelle s’engouffraient autrefois les rafales de l’Ouest, devenait de plus en plus calme et tranquille. Mais le mal est souvent la conséquence de l’excès ou même simplement de la prolongation du bien ; et, à « force de s’avancer vers l’Est, le banc de galets a fini par gagner la passe elle-même, et il continue à la menacer tous les jours. Il a pris une épaisseur et une consistance telles que toute la partie aval du golfe s’est comblée ; et c’est sur cet énorme dépôt tout récent, dont l’épaisseur est de près de 20 mètres, qu’est bâtie aujourd’hui presque toute la ville de Dieppe et que se développe la magnifique terrasse de cailloux roulés de près d’un kilomètre et demi de longueur sur 200 à 300 mètres de largeur, transformée en jardins, bordée de villas et d’hôtels luxueux, et où sont étalées pendant trois mois toutes les séductions de la vie mondaine la plus intense.

Tant que l’estuaire du golfe a été largement ouvert, c’est-à-dire jusque vers la fin du XVIe siècle, le chenal était naturellement entretenu par les courans alternatifs de flot et de jusant. La marée montante pénétrait alors jusqu’à Arques. En se retirant, elle formait au goulot une chute assez sensible ; et la passe se