Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 5.djvu/170

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Louis XIV, des danseurs habillés en femmes qui faisaient les déesses ou les bergères.

Ce fut une innovation hardie, vers la fin du XVIIe siècle, que d’introduire une danseuse sur le théâtre ; ses imitatrices y affluèrent, et les deux sexes se partagèrent la vogue pendant cent ans. « Bien que l’art de la danse, disaient les lettres patentes qui conféraient à Lulli son privilège, ait toujours été reconnu l’un des plus honnêtes et des plus nécessaires à former le corps, il s’y est introduit un grand nombre d’abus capables de le porter à sa ruine irréparable… » Pour le maintenir en honneur, le roi édicta qu’il n’y avait point « dérogeance, » aux demoiselles et gentilshommes, à danser à l’Opéra, et le Parlement, à son tour, rendit des arrêts proclamant la danse un « amusement noble. »

Ce n’était pas, il est vrai, une profession austère : parmi les « filles du magasin, » — ainsi nommait-on sous l’ancien régime celles qui prenaient l’Opéra comme moyen d’émancipation, pour se soustraire à l’autorité d’un mari ou d’un père, — inscrites à titre de postulantes de la danse ou du chant, beaucoup ne chantèrent ni ne dansèrent jamais. Mais c’était une fonction presque officielle ; le directeur adressait à l’intendant des Menus de graves rapports sur les débutantes, ainsi qu’un premier président envoie le sien au garde des sceaux sur les magistrats de son ressort : « La demoiselle Coulon, écrit-il en 1788, fait beaucoup de progrès, surtout dans les sauts ; car elle a fait voir au moins dix fois, dans de très longues pirouettes, le plus haut bouton de son caleçon. Elle a été très applaudie… »

Le corps de ballet, qui tenait ainsi sa place dans l’État, jouissait d’ailleurs de fort peu d’indépendance ; les relations des artistes avec le ministre de la Maison du Roi, qui les menace aisément d’exil ou de prison, demeurent bizarres et arbitraires. Mais un danseur était un personnage : Vestris et Noverre, qui tirent tourner tant de têtes, furent connus dans toute la chrétienté, et, lorsque Dauberval, « qui savait atteindre au point de vérité le plus agréable et le plus folâtre, » fut atteint d’une grave maladie, vers la fin du règne de Louis XV, la cour allait chaque jour prendre de ses nouvelles et lui offrit 90 000 livres, par souscription, pour payer ses dettes.

Le danseur sombra avec la monarchie ; les générations nouvelles réservèrent leur enthousiasme pour le beau sexe ; indice certain que la chorégraphie commençait à n’être plus aimée