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livre au public, cet être ; factice est si complet, si indépendant de son interprète, que l’acteur, par la bouche duquel il parle, peut le regarder vivre et mourir sur la scène, tout en paraissant jeter sa propre âme à la foule.

Chose bizarre et presque incroyable ; bien que cette composition du rôle exige un véritable travail de psychologie, et que les meilleurs artistes semblent devoir être les esprits les plus déliés, on voit des acteurs, remarquables sur les planches, très pauvrement doués du côté de l’intelligence. C’est un don, une facilité spéciale d’adaptation, qui les guide. Les passions et les vices ne sont pas, sur toutes les scènes, rendus avec un égal degré d’outrance ou de vérité : « l’ivresse, » à l’Ambigu, n’est pas la même qu’aux Variétés ou aux Français. D’ailleurs, les ivrognes, comme les fous, sont ce qu’il y a de plus facile à jouer, parce que, la comparaison avec la réalité n’étant pas facile ou du moins immédiate, les erreurs choquent moins. Aussi est-il plus aisé de représenter, devant des hommes du monde, un paysan qu’un gentleman.


V

Aux côtés des acteurs apparaît le peuple nécessaire des personnages qui se meuvent en silence, ou ne se font entendre qu’en chœur : les choristes, au nombre de 100 à l’Opéra, obéissent à des chefs — des « assistans, » dit-on en Allemagne — qui, placés dans la coulisse, près de leur escouade, un cahier de partition à la main, battent la mesure d’une main et, de l’autre, avertissent les groupes avoisinans : A vous, Messieurs, la « journée ; » à vous, Mesdames, « l’hyménée,… » et ainsi de suite. Quelques choristes sont bons musiciens ; comme les petits abbés du XVIIIe siècle, ils dînent de l’autel et soupent du théâtre ; chanteurs de maîtrise le matin dans les églises parisiennes, ils passent le soir du sacré au profane. Les femmes ont moins de débouchés et de méthode ; elles apprennent leurs parties à la longue et, à mesure qu’elles acquièrent de l’expérience en perdant leur jeunesse et leur fraîcheur, elles s’effacent au second rang devant des collègues moins « marquées, » que l’on a soin de mettre davantage en évidence.

D’un tout autre ordre que les choristes, qui pèchent volontiers par le physique, mais se recommandent par une capacité