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vous dites : « La fureur brille » cela suffit ; un homme dans cette situation ne fait plus de gestes. »

« Ce ne sont pas des gestes que vous faites, dit peu après le professeur à une jeune personne qui chante un air d’Alceste ; ce sont des mouvemens de bras, parce que vous ne savez quel parti en tirer. Je vous ai fait voir à vous-même que les trois quarts des gestes du liras ne signifient rien… » Et, pour mieux convaincre l’élève, on lui fait chanter à nouveau toute la phrase avec les mains derrière le dos. — « Voyez comme les épaules donnent l’émotion ; elles sont le thermomètre de la passion et du sentiment. Jouez avec les mains dans les poches, c’est un excellent exercice. N’ayant plus le bras à votre disposition, vous prendrez forcément des attitudes ;… le torse en avant, signe d’orgueil et de force… Essayez maintenant avec les bras délivrés… »

On répète ainsi cinq cents fois pour arriver au naturel, à la pleine possession du ton, pour faire disparaître la « comédienne, » la « chanteuse qui se donne de la peine, » et détacher enfin, de sa propre individualité, le personnage. Le geste mécanique, une, fois bien senti, devient excellent. Un objet d’études analogues est la démarche, extrêmement difficile à réparer lorsqu’on en possède une mauvaise. Il est, pour apprendre à marcher, un système original : c’est d’imiter la démarche d’autrui, celle de la personne qui devant vous se traîne, chaloupe ou se dandine, et que le hasard vous donne dans la rue pour modèle. Lorsqu’on est parvenu à tout copier, on s’approprie aisément la bonne démarche.

La leçon continue, toujours entremêlée de chants et d’observations. — « Faudra prendre un miroir, ma petite ; vous avez une grimace malheureuse dans les expressions dramatiques ;… laissez tomber la lèvre supérieure, cela vous fait une bouche carrée… Je voudrais autre chose, de l’amertume ; il ne veut pas vous aimer, vous êtes lâche, vous n’osez pas le frapper… Et la gamine qui file tout de suite, c’est un pas en avant. Dans la pensée de Gluck, cette gamme forte indique une idée de violence ; nous devons trouver la plastique de chacune de ces gammes. »

Alceste cède la place à Selika, qui travaille la scène du mancenillier dans l’Africaine. Il est rare qu’on se fasse des gestes à soi-même dans la vie ; théâtralement, on est obligé d’en faire dans les monologues : « Mais, explique ici le maître, n’oubliez pas que le geste doit se faire sur la pensée et non sur le mot.