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beauté ; — quand une actrice est jolie, elle a déjà les trois quarts du mérite qu’elle doit avoir et l’auditeur veut qu’elle ait le quatrième quart. Quand elle est laide, au contraire, le public ne veut pas qu’elle ait du talent ; pour faire reconnaître celui qu’elle possède, il lui faut en déployer trois fois davantage.

Avant de sortir plus ou moins brillamment du Conservatoire, au bout de trois et quatre années d’études, le premier pas consiste à y être admis : 1 200 aspirans se présentent au concours d’octobre. Il en est accueilli 130 ou 140 ; plus d’un millier sont refusés, lesquels déclarent naturellement que la faveur seule préside aux entrées. Sur ces 140 élèves nouveaux des deux sexes, une vingtaine au plus appartiennent à la déclamation, une vingtaine aux classes de chant. Deux ou trois parmi eux remporteront un premier prix de comédie ou de tragédie ; deux ou trois décrocheront une pareille couronne d’opéra ou d’opéra-comique.

L’enseignement du chant comprend des classes de maintien et des classes de solfège, que les élèves suivent toujours avec répugnance, parce qu’ils les croient inutiles. Ils sollicitent fort, au contraire, leur entrée au cours de « déclamation lyrique » où tous ne sont pas admis. Il faut ici un minimum de capacité physique ; on juge inutile de préparer pour le théâtre le baryton atteint de claudication ou le soprano affligé d’un bras de bois, qui n’ont aucune chance de réussir sur les planches. L’art de jouer en chantant, assez compliqué en lui-même puisqu’il faut faire deux choses à la fois, sans les sacrifier jamais l’une à l’autre, mais bien en les fondant, en les complétant l’une par l’autre, est particulièrement difficile à inculquer à des individus que ni l’éducation première, ni le goût inné, ne prédisposent à la déclamation et à la mimique et que seul un organe exceptionnel conduit à l’Opéra. Quatre ans avant de débuter, tel fort ténor était tonnelier, tel autre garçon marchand de vins, et un troisième maniait la varlope.

Ce n’est pas une mince besogne de transmuer ces natures primitives en passionnés Raoul de Nangis, en Faust songeurs et compliqués ou en fabuleux Lohengrins. Plusieurs professeurs sont à la hauteur de cette tâche ; l’un d’eux, M. Giraudet, n’est pas seulement un praticien : il a publié sur le Geste un magnifique in-folio, orné de figures, où se trouve exposée toute la théorie de la pantomime, où les mouvemens des bras et des jambes,