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journalier de 500 francs. Une rétribution de 90 à 110 francs par jour est le moins que l’on puisse offrir à des chefs d’emploi de l’un et l’autre sexe, dès qu’ils ont quelque talent. Tel artiste, qui excelle aujourd’hui dans la farce, reçoit 80 000 francs par an, tandis que son père, qui n’était pas moins aimé dans cette partie, n’exigeait que 14 000 francs il y a trente ans.

C’est aux Français que les grands artistes sont le moins payés ; sacrifiés, dans l’égalité d’une organisation démocratique, à de simples « utilités. » Le maximum d’un sociétaire est, année moyenne, de 36 000 francs, tant en traitement fixe et en « feux » qu’en participation aux bénéfices. Mais, comme une moitié seulement de ces bénéfices lui est versée comptant, il ne touche que 27 000 francs chaque année ; le surplus de la somme mise en réserve à son profit n’étant guère supérieur à ce que lui rapporteraient, privément, ses économies, s’il les avait placées pour son propre compte.

« Je perds 500 francs par jour à rester ici, » disait plaisamment un acteur renommé, qui d’ailleurs a quitté la maison de Molière. Le prestige moral de cette maison, la dignité qu’elle procure, sont assez grands cependant pour que des comédiens, applaudis sur d’autres scènes, acceptent d’y entrer avec des appointemens inférieurs, de plus de moitié, à ceux qu’ils reçoivent ailleurs. Seulement l’administrateur est obligé, pour conserver son personnel d’élite, d’être assez coulant sur la question des congés et des tournées eu province. M. Claretie, dont l’indulgence sur ce chapitre a été critiquée, faisait aussi les mêmes reproches aux directeurs d’autrefois, lorsqu’il rédigeait le feuilleton dramatique de l’Opinion nationale. Il a dû reconnaître à son tour la nécessité de ces pratiques.

Le personnel de la Comédie-Française est du reste le plus discipliné’ de tous. Ailleurs, les « étoiles » ne rendent pas toujours à l’entreprise théâtrale ce qu’elles lui coûtent. Souvent elles la ruinent et volontiers la désorganisent par leurs exigences. Elles se font attendre une heure aux répétitions et le directeur n’ose les mettre à l’amende. Si l’on prétend leur en infliger, elles ne se gênent pas pour dire qu’elles seront malades le lendemain ; elles ont le certificat du médecin dans leur poche. L’acteur le plus capricieux, — le plus « fumiste » dit-on, — est assez maniable encore, comparé aux étoiles féminines. Celle-ci ne veut pas jouer avec tel camarade, ne supporte aucune toilette