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représente les défaillans, fait toutes les ripostes, supplée l’un après l’autre le barbon, l’orpheline ou la mère désolée. Chaque jour on s’enferme pour étudier le même acte, travail méticuleux et triste qui ne va point sans querelles, où le comédien s’énerve et jette son rôle par-dessus la rampe. Les hommes compétens étaient d’avis que les répétitions sont, de nos jours, trop prolongées et mal conduites ; mais on continuait partout les anciens erremens, lorsque Antoine inaugura, au Théâtre-Libre, une méthode nouvelle.

L’influence heureuse que ce novateur a exercée sur la mise en scène, et par contre-coup sur l’art dramatique contemporain, la bizarrerie de sa vocation, justifient la curiosité qui s’est attachée à sa personne. Cet homme, qui passait à ses débuts pour un révolutionnaire et qui, dans une certaine mesure, en fut un, possédait, avec la passion du théâtre, une âme de bureaucrate. Ces deux tendances se combattirent en lui assez tard, et ce n’est qu’à trente ans, — il en a aujourd’hui quarante-quatre, — que la première l’emporta.

Fils d’un employé de la Compagnie du Gaz, il sortait de l’école primaire à treize ans, presque illettré, et son père le plaçait dans une maison de commerce. Il y passait tout le jour ; mais, le soir, amoureux de spectacle, il était assidu à la Comédie-Française, où il entrait gratis comme claqueur, si remarquable dans cet emploi que, malgré sa jeunesse, le chef de claque le chargea plus d’une fois de conduire ses hommes en son absence. Antoine continua sur la scène la forte éducation dramatique qu’il avait commencée au parterre. Désireux de voir les acteurs de plus près et dans leur milieu, il se fit admettre comme comparse et figura dans toutes les pièces du répertoire ; frôlant, humble et silencieux, ces artistes qu’il devait égaler plus tard. Quelque modeste que soit son rôle, le figurant est convoqué à des répétitions dans l’après-midi. Le jeune commis, pour y prendre part, s’absentait de son bureau sans permission, et son patron le mettait à la porte.

Après avoir ainsi perdu successivement plusieurs places, avoir battu la misère et couché souvent aux Halles, faute de logis, il tenta de se présenter au Conservatoire et n’y fut pas reçu. Il avait vingt et un ans, le service militaire le prit, et il s’éprit lui-même de son nouveau métier. Secrétaire modèle de généraux dont il est maintenant l’ami, il demanda à faire campagne et