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bergères ou divinités dans la gloire. » Si le chanteur ne se transforme pas avec l’âge et s’il faut même, à la fin de sa carrière, lui faire crédit des notes qu’il a perdues en route, l’ « ingénue » devient volontiers « grande coquette, » et la « jeune première, » en quittant le département de la passion, peut passer « duègne » à l’ancienneté. Il en est maint exemple, bien que les duègnes, comme les « pères nobles » les plus parfaits, soient tels dès la prime jeunesse. De même le fringant « amoureux » de théâtre est souvent plus « jeune » à cinquante ans qu’à dix-huit.

Aux Français, les « chefs d’emplois » sont propriétaires des rôles qu’ils ont créés ; ce qui, à l’origine, était une obligation à eux imposée est devenu un droit. Mais, pour toute pièce nouvelle, railleur est libre de choisir ses interprètes, et l’administrateur est maître de la distribution dans le « répertoire. » Il n’a d’ailleurs que l’embarras du choix, parce que la troupe de la Comédie-Française est extrêmement nombreuse : 77 personnes actuellement, dont 24 sociétaires et 53 pensionnaires. Cet excès, si c’en est un, assure la continuité des traditions, mais réduit aussi les occasions de sortir de l’ornière. Dans les théâtres de genre, comme le Palais-Royal, le Vaudeville ou les Nouveautés, l’effectif des comédiens de l’un et l’autre sexe est d’une trentaine, dont la moitié environ joue chaque soir dans le « lever de rideau » ou dans la pièce principale.

Ici les types sont individuels et non permanens. Loin de rentrer dans un moule fixé d’avance, ils ont chacun leur marque de fabrique, leur physionomie propre, qu’ils s’attachent à maintenir. Pour sortir du cadre convenu, la correction n’est point de mise. Le jeu trop parfait d’un premier prix du Conservatoire y semble guindé. Au contraire, un défaut de prononciation, de conformation ou de démarche, une voix sifflante ou nasillarde, un nez excessif ou un ventre proéminent, un visage grotesque ou hébété, sont, pourvu que le public les adopte, d’enviables élémens de succès.

Après la lecture vient la « collation » des rôles ; les erreurs des copistes sont fréquentes et l’on corrige les fautes au passage. C’est, de plus, la première étude des personnages ; elle en fait comprendre les grandes lignes et commence, suivant une expression de métier, à « les mettre dans la bouche » de chacun. Vient le tour du « débrouillage ; » on descend en scène, où les mouvemens s’établissent et se règlent par les soins du régisseur, qui