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alors de modestes proportions ; elle ne dépassait pas six mètres, mais elle était déjà éclairée a giorno par des cierges nombreux, et le transport s’effectuait à dos d’hommes. Chaque année la vit grandir, en quelque façon ; l’émulation, si naturelle aux gens de Viterbe, contribuait à sa rapide transformation. Aux nobles et aux bourgeois revenait alternativement le soin d’organiser la fête ; c’était à qui lui assurerait le plus d’éclat. Ainsi la macchina devint, à chaque anniversaire, plus imposante. C’est à présent une géante qui atteint une taille de dix-huit mètres ; sa tête s’élève orgueilleusement au-dessus des maisons de la ville.

A mesure qu’elle grandissait, il devenait plus ardu d’en assurer le transport à travers les rues inégales. Aussi, bien que les porteurs eussent acquis déjà par une longue pratique l’expérience requise, de graves accidens attristèrent-ils plus d’une fois la procession. En 1801, une panique se produisit et quarante personnes furent écrasées. Ce fut un deuil public ; les fêtes furent suspendues pendant deux ans. Quand les magistrats autorisèrent la procession, en 1804, ils mirent pour condition que les mineurs conventuels auraient seuls la faculté d’y prendre part. En 1814, ce fut la macchina elle-même qui tomba avec un fracas épouvantable. Le même accident s’étant reproduit en 1820, on imagina de munir la charpente de pieds sur lesquels la machine pourrait se reposer, le cas échéant.

Aujourd’hui la macchina pèse trois mille kilogrammes et il faut soixante hommes pour la soutenir. Ces hommes d’élite forment un corps fermé sous le nom de facchini di Santa Rosa. On se dispute, dans les familles populaires, l’honneur de compter un membre au nombre de ces porteurs. Comme la plus légère imprudence pourrait amener une catastrophe, la municipalité fait garder les facchini à vue pendant toute la journée du 3 septembre, de peur qu’ils ne s’enivrent. A l’Angelus, on les conduit à la Porte romaine d’où part le cortège. La macchina est cachée sous un voile : on la découvre, on allume les bougies. Puis les soixante porteurs se glissent sans bruit sous les madriers. Chacun prend la place qui lui est assignée. On peut les voir, à ce moment, les jambes écartées, le dos courbé, disposés en files profondes. Les plus grands sont placés en avant, car la première partie du parcours forme une descente. A un signal donné, tous, d’un mouvement lent, régulier, harmonieux, redressent l’échine. Il y a un instant d’indicible émotion qui saisit à la