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on lui érigea un tombeau dans l’église de San Francesco. Le pontife, les mains jointes, repose pacifiquement sous un tabernacle soutenu par de légères colonnes torses. La clarté des divisions architectoniques, la richesse sans emphase des ornemens de sculpture et des mosaïques, décèle la main d’un maître. C’est, en effet, à un des grands artistes de Rome qu’est dû ce monument. Son nom est Vassalletto ; son chef-d’œuvre, le cloître de Saint-Jean-de-Latran. La paix de la tombe et la paix du couvent : telles étaient les sources auxquelles les hommes du moyen âge puisaient leurs plus belles inspirations. Ils excellaient à produire des œuvres sentimentales dans un cadre déterminé. Par des moyens fort simples, ils parviennent à triompher le plus souvent de la virtuosité plus savante, quelquefois même plus originale et plus personnelle, de leurs successeurs.

Tandis que j’errais par les rues de Viterbe, bien d’autres églises m’ont arrêté un instant ; mais l’Italie est si riche en édifices de ce genre qu’à vouloir les connaître tous, on s’exposerait à ne se souvenir bientôt d’aucun. Le petit sanctuaire de San Silvestro, quelque banal qu’il soit, mérite cependant qu’on fasse une exception en sa faveur, en raison de la tragédie dont il fut témoin.

Parmi les seigneurs qui avaient suivi Charles d’Anjou à la conquête du royaume de Naples, du « Royaume, » comme on disait alors en Italie, se trouvaient Guy et Simon de Montfort, fils de ce comte de Leicester, vaincu à Evesham, tué au moment où il rendait son épée et exposé, après sa mort, aux plus sanglans outrages. Or, dans la suite du roi de France, revenant de Tunis, on voyait Henri de Cornouailles, petit-fils de Jean sans Terre et neveu d’Henri III, roi d’Angleterre. Les Montfort n’apprirent pas sans une poignante émotion l’arrivée de ce jeune prince à Viterbe. Ils y accoururent aussitôt, brûlant de venger dans le sang d’un Plantagenet le traitement sauvage infligé à leur père. En bon croisé, Cornouailles s’était rendu un matin à l’église de San Silvestro pour y entendre la messe, quand tout à coup un cliquetis d’armes et une clameur menaçante le firent tressaillir. Par un mouvement instinctif, il courut vers l’autel, cherchant un refuge auprès de l’officiant. Guy et Simon de Montfort s’étaient précipités sur ses pas ; un coup de hache lui trancha la main accrochée à l’autel ; il tomba percé de nombreuses blessures. Des deux desservans qui avaient tenté de le protéger, l’un fut tué sur place, l’autre mortellement blessé. Les meurtriers étaient