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répertoire ordinaire. Il y a mieux, et, de 1801 à 1820, par exemple, contre 27 représentations de Polyeucte, on en compte 57 de Nicomède, 40 d’Héraclius, et 59 de Rodogune. Aussi bien de 1680 à 1900, trouvons-nous au total 386 représentations de Rodogune contre 418 seulement de Polyeucte. Évidemment le goût du XVIIIe siècle persiste, à moins que l’on ne continue d’en croire sur parole le poète lui-même, qui, de tous ses ouvrages, n’en estimait aucun au-dessus de Rodogune. Le spectateur sacrifie à la force du préjugé quelque chose de son plaisir.

Mais finalement voici que ce plaisir l’emporte et, de 1871 à 1900, les seules pièces de Corneille que l’on joue sont le Cid, Cinna, Horace et Polyeucte. De 919 représentations du Cid données de 1680 à 1900, il y en a 440 pour le XIXe siècle ; il y en a 181 de Polyeucte sur 418 ; et 314 d’Horace sur 586. La fortune de Cinna est plus singulière. On en avait donné 286 représentations de 1680 à 1800 ; il s’en donne 333 de 1801 à 1900, soit au total 619. Mais, de ces 333 représentations, 253 appartiennent à la période de 1801 à 1850, et 80 seulement à la période de 1850 à 1900. On en peut tirer la conclusion que Cinna jette au théâtre « ses derniers feux, » si l’on peut ainsi dire, ou, pour me servir d’une autre métaphore, « il se déclasse. » On le lira toujours : il ne se jouera bientôt plus. Le même sort attend-il Polyeucte ? Je voudrais ne pas le croire ! Mais on est bien obligé de constater qu’en ces trente dernières années la Comédie-Française ne l’a pas donné plus de 57 fois, soit en moyenne 2 fois l’an, tandis que, dans le même intervalle de temps, Horace reparaissait 71 fois sur l’affiche, et le Cid 144 fois. On ne l’avait joué que 71 fois dans les trente années précédentes, de 1841 à 1870, et si je crois devoir en faire l’observation, c’est pour écarter l’objection qui vient naturellement à l’esprit. Est-ce que le génie d’une Rachel ou d’un Talmane serait peut-être pas la cause de ces fluctuations de popularité ? Les chiffres prouvent ou semblent prouver le contraire. Le « phénomène » est indépendant du caprice ou du talent des acteurs. On achèvera de s’en convaincre en examinant la statistique des représentations de Racine.

La Comédie-Française adonné, de 1680 à 1900, 5 051 représentations des tragédies de Racine, dont 3 317 d’Andromaque, de Britannicus, d’Iphigénie et de Phèdre. Or, si, de 1831 à 1870, on a joué Phèdre 146 fois, on l’avait jouée, de 1800 à 1831, 208 fois ; et si l’on a donné Britannicus 92 fois de 1831 à 1870, nous en trouvons, de 1800 à 1831, 147 représentations. C’est également avant Rachel, de 1800 à 1831, que l’on a donné 233 représentations d’Iphigénie contre 36 seulement, de 1831 à 1860. Chose assez inattendue ! Mithridate est de toutes les tragédies de Racine