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harceler par l’infanterie toute l’armée ennemie d’une manière si vive qu’il l’obligea et força, au pied de la lettre, de se jeter dans les chemins couverts et les fossés de Nimègue et de passer au travers de la ville. » « Je ne crois pas, continue Boufflers, qu’il y ait d’exemple qu’une armée entière ait été poussée jusque sur la contrescarpe et les palissades d’une place, qu’elle y ait été actuellement attaquée et harcelée de manière qu’elle ait été forcée de se jeter dans les chemins couverts et dans les fossés, ne pouvant plus tenir contre la mousquetterie et le canon de l’armée opposée. »

N’aurait-il pas été possible de pousser plus loin l’avantage et d’enlever de vive force la place elle-même ? Berwick, le futur vainqueur d’Almanza, le donne à entendre dans ses Mémoires : « Quelques personnes proposèrent (il était du nombre probablement) d’attaquer l’armée ennemie dans le chemin couvert… Peut-être même que, dans la confusion, nous eussions entré pêle-mêle avec eux dans la place ; mais on fut si longtemps à délibérer sur cette proposition, qu’il n’y eut plus moyen de l’exécuter, car de pareils coups doivent être faits dans l’instant et sans donner à l’ennemi le temps de se reconnaître[1]. »

C’est au cours d’une délibération de cette sorte qu’un Duc d’Enghien eût, avec le coup d’œil du génie, jeté dans la balance le poids d’un avis décisif. Mais on ne saurait reprocher au Duc de Bourgogne de n’avoir pas été le Duc d’Enghien. S’il fallait en croire une chanson qu’on fit à l’époque sur l’air de « Tous les capucins du monde, » ce serait son propre mentor, d’Artagnan, qui aurait ouvert un avis trop prudent :


Esprits craintifs, loin de nos princes
Allez trembler dans vos provinces,
Laissez faire au sang de Bourbon.
Nimègue offrait une victoire,
Et, sans le conseil d’un poltron,
Bourgogne en auroit eu la gloire.


Cette chanson ne peut être l’œuvre que d’un ennemi personnel de d’Artagnan. En effet, ajoute dans une noie le chansonnier lui-même, « il n’estoit rien moins qu’un poltron[2]. » En tout cas, personne ne reprochait au Duc de Bourgogne le

  1. Mémoires de Berwick, t. Ier, p. 184.
  2. Le Nouveau siècle de Louis XIV, t. III, p. 95.