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y aura quelque chose à faire. Mais il craint un rappel prématuré, qui ferait de méchans effets et pour sa réputation et pour décourager les troupes du Roi[1]. Cette crainte le hante, et, à plusieurs reprises, il demande à Beauvillier de faire tout ce qui sera en son pouvoir pour prévenir ce fâcheux rappel. Se croit-il à la veille de quelque action importante, on sent la joie sincère qui l’anime. Il a passé la nuit au coin d’une haie ; il espère, au matin, que l’armée va reprendre sa marche en avant, et la pensée de voir le feu le lendemain n’a rien qui le trouble, au contraire, car il a en Dieu une confiance « semblable à celle des héros de l’Ancien Testament. » « Je montai à cheval dès six heures, écrit-il certain jour, croyant que nous pourrions avoir une action et attaquer un corps de 10 000 hommes commandé par le comte de Tilly. J’eus le temps auparavant d’entendre la messe et d’y faire mes dévotions, et je vous assure qu’ensuite, s’il y avait eu quelque combat, je ne crois pas que j’eusse craint grand’chose[2]. »

Cependant, c’est surtout de ses dévotions qu’il est question dans sa correspondance avec Beauvillier. Il entretient son ancien gouverneur de ses prières, de ses lectures, auxquelles il regrette de ne pouvoir consacrer plus de temps, de ses confessions, de ses communions, qui sont fréquentes, et parfois publiques. « Avant-hier matin, lui écrit-il, à la pointe du jour, et après que j’eus fait dire la messe, ne sachant encore si nous n’allions point attaquer les ennemis (qui, par parenthèse, étaient inattaquables), je me confessai devant tout le monde et ne fis point de difficultés de ce qu’on en pourrait dire, car Jésus-Christ ne veut pas qu’on rougisse d’être à lui. » Il fait également confidence à Beauvillier de ses inquiétudes sur l’état de son âme, de ses dissipations, de ses scrupules. Il craint, s’il lui arrive quelque bon succès, que l’orgueil et la vanité ne s’emparent de son cœur. S’il se réjouit de la victoire que le roi d’Espagne, assisté par Vendôme, vient de remporter à Luzzara, ce n’est pas seulement pour le bien de l’État, c’est aussi parce qu’il aurait pu avoir quelque secrète complaisance, s’il en avait eu une avant lui. Ce qui paraît dominer dans ces lettres, c’est la préoccupation du pénitent de ne rien celer de l’état de son âme à son

  1. Le Duc de Bourgogne et le duc de Beauvillier, par M. le marquis de Vogüe, p. 127 et passim.
  2. Ibid.. p. 142.