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saul, s’était levé sur ses pieds, et d’un temps avait dégainé son cimeterre. L’acier d’Ispahan jaillit de sa gaine, comme le croissant de la lune d’un nuage chassé par le vent. Ivre de fureur, Vandriamah Chatoun chargea le religieux, et, d’un coup, pensa lui faire voler la tête. Le saint homme, debout, s’éloignait à reculons, sans que cependant ses jambes ni ses pieds remuassent ; et Chatoun, pensant toujours l’atteindre, brandissait l’arme nue où luisaient mille pierres précieuses, et avançait en mugissant de colore. Déjà il foulait la natte, quand celle-ci s’abîma sous ses pas. Une malédiction sauvage s’éleva, puis deux bruits se suivirent de très près ; celui d’un corps lourd s’écrasant sur les dalles de l’étage inférieur, celui d’une lame qui rebondit avec un son clair et vibrant.

Ainsi mourut le soubadar Bahadour Chatoun, qui fut rajah pendant trois années. Il périt victime de sa nature violente et des embûches disposées, suivant la volonté des Dieux, par un prêtre mendiant et une prostituée. Cependant les auteurs de l’accident s’enfuyaient, dans la nuit, par les couloirs. Ils eurent vite atteint les portes de la citadelle, avant que le palais ne fut réveillé. Poumi n’eut qu’à écarter son voile pour que les guerriers de garde ouvrissent le lourd battant rouge, chargé de rosaces en cuivre. Et, marchant dans la campagne, elle songeait aux moyens d’éluder son engagement.

« Si seulement, — songeait-elle en balançant ses hanches magnifiques, bridées par ses pagnes écarlates qu’éclaboussaient de sang les rayons de la lune, — si seulement je pouvais inspirer quelque désir à ce fakir, je saisirais le moment utile, et je lui enfoncerais dans le foie ce petit poignard que je porte toujours sur moi ! »

Et cambrant sa taille, rejetant en arrière son voile, d’un mouvement langoureux qui fit valoir le galbe de sa gorge, harmonieusement bombée comme celle de la déesse Parvati, l’indolente Poumi appela le sanniassy avec des accens chantans. Mais le vanaprastha du désert ne répondit pas à cette voix, une des plus suaves qu’aient jamais entendues les hommes. Et la bayadère Poumi, s’étant retournée avec impatience, habituée qu’elle était à voir ses vœux toujours exaucés, s’aperçut que le solitaire n’était plus derrière elle. Et pourtant elle croyait toujours entendre ses pas et les plaquettes de cuivre qui tintaient à son bâton. Pâle d’épouvante, Poumi sentit que ses jambes se faisaient