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fois, il détruisit l’œuvre de plusieurs jours, parce que les contours lui apparaissaient secs et grossiers, sans vérité et sans grâce. Puis, satisfait de la forme. Mohammed décida de peindre le simulacre de cire. Il broya les couleurs les plus fines et ne ménagea ni le cinabre, ni l’outremer, non plus que le jaune indien. Mélangeant dans de justes proportions le blanc d’œuf, la celle de parchemin et la gomme d’Arabie, il épaississait ses enduits avec du plâtre dix fois passé au tamis, les corsait avec l’alun. Ou bien il s’acharnait à la réussite d’un vernis, chauffant et refroidissant tour à tour le copal, l’élémi, la sandaraque, le damar et le sang-dragon.

Enfin la figure de cire se dressa, terminée. Une autre Celindaja vivait maintenant à cela près qu’il lui manquait seulement le souffle. Cependant Mohammed ne pouvait plus se détacher de son ouvrage. Tout prétexte lui était bon pour opérer quelque retouche, pour détacher un pan de draperie avec un fil de cuivre rougi au feu. Ou bien c’étaient les verres colorés qui ne s’harmonisaient pas avec le ton des vêtemens. Et il s’essayait à mieux marier les émaux, taillés en manière de gemmes ; leur scintillement égalait le brillant des yeux. Ceux-ci étincelaient ainsi que des yeux vivans, tant les vernis subtils y avaient été peu ménagés, et sur le blanc où se détachaient des fibrilles carminées, et sur la pupille disposée en creux et recouverte d’une pellicule ténue de cristal. Des émeraudes, des rubis et des grenats, tous parfaitement imités, se suspendaient aux oreilles, alternant avec les turquoises mates et les topazes rutilantes ; ils s’étageaient sur le front, couraient en une sorte de gourmette qui se rattachait à la coiffure dorée, après avoir bridé le menton. Et la face, merveilleusement blanche, apparaissait par le large entrebâillement des voiles aux plis savamment compensés : telle la lune luit par les soirs calmes de printemps, au milieu des nuages pressés en flocons légers. Et Mohammed demeurait acharné à sa besogne. Il vivait enfermé avec sa statue, et ne pensait plus à rien d’autre sur la terre. Et, à l’idée qu’un jour viendrait où il lui faudrait envoyer la Celindaja sculptée et peinte au vali Seef ben Saïd, il sentait une douleur amère monter de son cœur à ses lèvres. Il pensait que son tort avait été grand d’accepter les sequins en arrhes du marché : « Si je n’étais pas si besogneux, se disait-il, je rendrais au cheick ses pièces d’or. Mais, hélas ! j’ai déjà dû en dépenser la plus grande partie ! » Et il maudissait sa pauvreté.