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parens et de mes amis. Je deviendrai un objet de risée : les petits-enfans me poursuivront par le bazar ; et je ne pourrai plus gagner ma vie. »

Il se décida, cependant, quand le cheick eut donné l’ordre de charger sur un mulet la boîte qui contenait les trois cents pièces d’or. Et elles avaient été comptées. Alors il suivit le vieillard par des couloirs obscurs et des escaliers tortueux. Et ils accédèrent à une petite chambre qui s’ouvrait sur une terrasse encaissée de hautes murailles. Leur épaisseur se perçait, de place en place, par des jours étroits et obliques comme les archères d’un donjon. À l’approche des deux hommes, une nuée de femmes se dispersa avec des cris étouffés. Le claquement de leurs babouches résonna sur le mortier battu. Et, par les joints des voiles sombres ramenés sur les faces, des yeux luisaient, dont l’éclat était plus vif que celui des joyaux dont chaque esclave était surchargée. On eût dit ces chasses où les chrétiens attachent des escarboucles et autres gemmes d’un grand prix, qui auraient eu des pieds alourdis par des entraves en argent, et qui auraient marché.

Mais, sans s’occuper de ces femmes dont les grâces étaient pour lui chose commune, le vali poussa la porte ; et, appuyé sur son long bâton de sycomore couvert d’entrelacs en relief, il dit à Mohammed :

— Regarde ! Voici, étendue sur le lit, celle qui fut la joie de ma vie. Bientôt la terre la recouvrira. Hâte-toi donc de reproduire ses traits et de les fixer avant cette heure, trop prochaine, où la corruption dernière les aura dévorés pour jamais. Hâte-toi, mon fils ! Que les dernières lueurs du jour ne soient pas perdues ! Mets-toi à l’ouvrage. Pour moi, je demeurerai là sans le troubler dans ton travail, et sans le regarder non plus que celle dont la mort commence à ravager, jalousement, la beauté.

Sur l’angareb de bois peint, la favorite semblait dormir, et sa face était plus pâle que les pétales de jasmin dont on avait jonché sa couche. Allongée dans la longue tunique de tabit vermeil, bossue de broderies, Celindaja ne laissait voir que ses mains et son visage dont l’ovale régulier était cerclé de pierreries. Une pierre de l’une marquait I entre-deux de ses sourcils ; et des turquoises, grosses comme des œufs, étaient attachées à ses oreilles. Ses mains disparaissaient sous les bagues, et des bracelets damasquinés ou émaillés encerclaient ses poignets. Ses pieds, pris dans des pantoufles en brocart et des chausses