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auquel le Roi alloua comme indemnité une gratification de 25 000 écus : « Grande grâce et si peu méritée, écrivait Boufflers à Chamillart, car j’ay fait faire la plus médiocre chère du monde à Monseigneur le Duc de Bourgogne, par l’impossibilité de la faire meilleure[1]. » Le Duc du Maine, qui servait, comme le Duc de Bourgogne, pour la première fois, arrivait au camp de Santen presque en même temps que lui[2]. Berwick, le futur vainqueur d’Almanza, Rosen, dont nous avons déjà parlé, d’Artagnan, que nous allons voir entrer en fonctions auprès du Duc de Bourgogne, y commandaient sous Boufflers, comme lieutenans généraux. C’était un brillant état-major, et on pouvait espérer favorablement du succès de la campagne. Comme nous n’écrivons point une histoire militaire, nous n’entreprendrons point ici le récit de cette campagne, sur la conduite de laquelle le Duc de Bourgogne eut en réalité peu d’influence. Mais nous voudrions le montrer livré pour la première fois à lui-même, se développant sans contrainte, et nous essayerons, à l’aide de quelques documens inédits ou nouveaux, de faire apparaître les trois hommes qui parfois se combattaient en lui : le prince, le dévot et le mari.

Le prince apparaît surtout dans les lettres que d’Artagnan, en mentor consciencieux, adressait tous les trois ou quatre jours à Chamillart et qui étaient destinées à passer sous les yeux du Roi. Le Duc de Bourgogne était à peine arrivé qu’aussitôt d’Artagnan rendait compte à Chamillart de ses impressions : « Il me paroît, Monsieur, qu’il a toutes les envies de bien faire, et m’a ordonné de luy dire en particulier tout ce que je croirois nécessaire à son instruction pour la guerre, qu’il auroit de la confiance à ce qu’il me permettroit de luy faire connoître. Je le trouve, pour le peu de temps que j’ay eu l’honneur de l’approcher, facile à aborder, écoutant avec douceur et bonté ce que j’ay l’honneur de luy proposer, voulant pourtant, avant que d’exécuter, savoir les raisons pourquoy… Il se montre ; ouvert au public, d’un visage gay, m’ayant dit que les Français sont capables de tout par la douceur et la présence de leur prince. Tous ces commencemens, Monsieur, sont heureux à un Prince doué de plus d’esprit

  1. Dépôt de la Guerre, 1554. Boufflers à Chamillart, 5 juin 1702.
  2. Il existe à la Bibliothèque nationale. Mss. Nouv. acq. fr. 4359, un Journal de la campagne tenu par le Duc du Maine, dont M. de Boislisle a publié quelques fragmens au t. X de son Saint-Simon, p. 512.