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VI

Tout comme la légendaire ville d’Ys, que les récits bretons placent un peu partout sur la côte de la vieille Armorique, et qu’une marée formidable ou un cataclysme inexpliqué aurait engloutie dans l’Océan, il existait autrefois aux abords de Dieppe un centre de population très important, une véritable cité sur l’âge de laquelle on est loin d’être fixé et dont plus de la moitié s’est écroulée avec la falaise qui la portait, une faible partie restant encore suspendue au-dessus de l’abîme et pouvant s’effondrer au premier jour. On l’appelait, on continue à l’appeler la « cité de Limes. » Quelques restes de fossés semblent indiquer qu’elle était entourée d’un mur de circonvallation quadrangulaire. C’était une sorte d’oppidum, dont la plus petite moitié, encore apparente, mais très ruinée, a la forme d’un triangle rectangle. La crête toujours branlante de la falaise marque à peu près l’hypoténuse de ce triangle.

Au cours d’une visite célèbre que Louis XIII enfant vint faire à Dieppe, le vieux castrum celtique fut baptisé du nom de « Camp de César. » Le jeune roi était accompagné des premiers personnages de sa cour, les ducs d’Orléans, de Mayenne, de Nemours, MM. de Rohan, de Vitry, de Luynes, et une foule de gentilshommes très braves et très brillans sans doute, mais assez médiocrement au fait des choses de l’art, de l’histoire et de l’archéologie. Entre deux parties de pêche et de promenade, la noble compagnie décida que les Romains seuls avaient pu exécuter sur la falaise des travaux d’installation durables, que Jules César y avait fait camper ses légions, qu’il y avait établi un grand poste d’observation pour surveiller les débarquemens des hommes du Nord et protéger sa flotte abritée dans la vallée de l’Arques, et que, pour toutes ces raisons, le vieil oppidum celtique devait être un camp romain. Par respect pour la majesté du roi et l’autorité de son brillant entourage, le nom lui est resté dans le langage populaire et sur certaines cartes modernes[1]. C’est toujours le « Camp de César. » La vieille cité de Limes est cependant beaucoup plus ancienne et paraît être essentiellement gauloise. Elle renferme quelques grottes qui ont servi

  1. Vitet, Histoire de Dieppe, 1833.