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émergé du sein de l’Océan, chaque seconde en a vu tomber quelques parcelles, chaque année a vu reculer la muraille d’une quantité plus ou moins grande, mais très appréciable, devant son infatigable agresseur. La destruction est continue, le travail de dislocation apparent ou caché ne cesse jamais ; et, au cours des grandes tempêtes, il se manifeste quelquefois par de véritables cataclysmes.

Sans rappeler les épisodes dramatiques des vieilles légendes, qui, à tout prendre, ne sont le plus souvent que des traductions poétiques de la vérité, la génération actuelle a conservé le souvenir de terribles éboulemens. L’ingénieur Frissard parle d’un formidable effondrement qui eut lieu le 11 janvier 1830 à la Hève et forma, au pied de la falaise, un barrage qui interrompit pendant longtemps la marche des galets. Nouvel éboulement l’année suivante. Dès 1814, un naturaliste havrais d’un certain talent, qui portait un nom déjà célèbre, Lesueur, se plaisait à retracer d’un crayon habile les effondremens successifs de la falaise de la Hève, et on trouve dans les notes de son père le récit d’un éboulement général qui eut lieu le 2 février 1785 et dont le bruit et la commotion furent perçus jusqu’au Havre même. Le 4 décembre 1841, Lesueur constatait, pendant cinq heures consécutives, un mouvement d’affaissement général accompagné d’éboulemens successifs.

L’année suivante fut encore plus terrible ; et, le 3 septembre, la falaise s’écroulait dans la mer, avec un épouvantable fracas, sur une longueur de plus de 2 kilomètres et une largeur moyenne de 30 mètres.

Le 14 juin 1860, presque au même endroit, un glissement général refoula lentement vers la mer le sable et le galet, qui furent soulevés en certains points de 4 à 5 mètres au-dessus de l’eau. Ce mouvement produisit dans le mur d’escarpe de grandes fissures qui s’élargirent rapidement. Minée à son pied, la falaise qui surplombait ne tarda pas à s’écrouler ; et ses débris, que l’on put évaluer à plus de 50 000 mètres cubes, couvrirent une surface de plus de 30 000 mètres carrés.

Six ans après, une nouvelle tranche de la falaise glissait à la mer sur sa base d’argile ; près de 8 hectares étaient disloqués et fendus sur le plateau. La crête surplombait de nouveau et s’effondrait bientôt avec fracas ; et plus d’un million de mètres cubes de terres et de rochers venaient s’étaler sur l’estran,