Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/885

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compléter par des travaux d’art l’œuvre commencée par la nature.

Le Havre continua cependant à n’être affecté pendant quelque temps qu’à la pêche à peu près exclusivement ; mais les premiers travaux d’amélioration de son chenal donnèrent assez rapidement d’excellens résultats ; et, lorsque François Ier vint, en 1520, visiter la ville naissante, qui était déjà entourée d’une première enceinte et dont le chenal était défendu à son entrée par la magnifique tour qui devait porter son nom, les plus grands navires de l’époque pouvaient facilement y accoster aux bonnes heures de la marée. Des chantiers de construction y furent bientôt installés et y prirent tout de suite une telle importance que le roi y fit armer, en 1533, un navire de 1 200 tonneaux, le plus grand type de l’époque, auquel on donna le nom de la Grande Françoise, et qui était destiné à aller guerroyer contre les Turcs. La Grande Françoise malheureusement ne devait pas tenir ce qu’on avait attendu d’elle. Elle ne put dépasser les jetées du port. Mais, dix ans après, une flotte, composée de plus de 150 vaisseaux de fort tonnage, appareillait au Havre même pour aller attaquer la flotte anglaise, près de l’île de Wight. L’élan était donné. On poussait en mer la jetée du Nord destinée à arrêter l’invasion des galets, ce qui ne pouvait être d’ailleurs qu’un expédient temporaire. On commença, bientôt après, la construction d’écluses de chasse assez rudimentaires qui devaient retenir et lâcher tour à tour les eaux des fossés de la ville et maintenir tant bien que mal une certaine profondeur dans le chenal. Les habitans étaient en outre réquisitionnés et organisés en compagnies pour une corvée spéciale qu’on appelait le « pionnage » et dont le travail consistait à piocher les « poulies » de gravier amoncelées à l’entrée du port, opération indispensable, presque continue et qu’on renouvelait après toutes les fortes marées.

Malgré tous ces inconvéniens, et bien que le Havre ne fût encore qu’un port d’échouage, son développement excita rapidement la jalousie des Anglais, toujours en éveil sur les progrès que nous faisions sur nos côtes, et qui profitèrent des guerres de religion et du concours que leur donnèrent les protestans pour s’emparer de la ville (1562). Elle fut reprise deux ans après par le maréchal de Villars, et l’entrée du port fut fortifiée par une seconde tour, la tour du Vidame, qui faisait pendant à celle de François Ier. Les deux grandes forteresses, aujourd’hui démolies, commandaient ainsi la passe du chenal et lui donnaient cet aspect