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III

Il n’était et il ne pouvait être question du Havre il y a quatre cents ans à peine, et rien ne semblait moins indiqué, pour la création, en quelque sorte artificielle, d’un grand établissement maritime, que cette pointe extrême de la rive nord de la Seine, menacée de trois côtés à la fois par des apports de toute nature, ceux du fleuve, ceux des falaises émiettées du pays de Caux, ceux enfin que lui amène le grand courant littoral qui longe la côte de la Basse-Normandie. Elle paraissait devoir être abandonnée à tous les caprices des élémens. On sait en outre combien les bancs formés à l’embouchure de la Seine sont nombreux, encombrans et mobiles encore aujourd’hui. On a évalué que dans une vingtaine d’années, l’excès des dépôts sur les affouillemens, des atterrissemens sur les corrosions avait dépassé un million de mètres cubes ; et on a constaté qu’en certains endroits l’exhaussement de l’atterrage avait été de 70 centimètres, et qu’une seule marée pouvait apporter sur certains bancs une couche nouvelle de près de 30 millimètres de dépôts[1]. Il faut encore aujourd’hui toute la vigilance des ingénieurs et l’emploi successif des chasses et des dragages pour maintenir, dans les bassins du Havre, un certain état d’équilibre du fond et assurer la hauteur d’eau nécessaire pour la flottaison des grands navires.

Il est probable cependant que le mouillage assez médiocre, abrité par la digue de galets qui courait du cap de la Hève à la pointe du Hoc, était connu et peut-être fréquenté aux premiers siècles de notre ère ; et c’est là que certains archéologues placent un établissement militaire et maritime, un peu douteux sans doute, puisque les itinéraires officiels de l’empire n’en parlent pas, qu’on n’en trouve qu’une mention assez vague dans Ammien Marcellin sous le nom de Castra Constantiana, et qu’il n’en est pas resté la moindre trace.

Quoi qu’il en soit, une plage pestilentielle et à peu près déserte, fréquentée seulement par quelques pêcheurs, privée d’eau potable et de voies de communication la reliant avec la vallée de la Seine, dont elle était séparée par des marécages, battue par les vents de tempête du Nord et de l’Ouest, devait dans quelques

  1. Minard, De l’Avenir nautique du Havre, 1856 ; Delesse, Lithologie du fond des mers, 1871.