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d’une facture détestable, mais où, contraste étrange, la prétentieuse médiocrité du vers recèle un sens profond :


………… C’est à la douleur même
Que je connais de Dieu la sagesse suprême ;
Ce sentiment si prompt dans nos cœurs répandu,
Parmi tous nos dangers sentinelle assidu,
D’une voix salutaire incessamment nous crie :
Ménagez, défendez, conservez votre vie !


En ce qui touche les fins du mal physique, l’objet de cette étude ne serait que partiellement atteint, si je négligeais d’insister sur un point dont l’importance me paraît capitale. J’entends la nécessité du souvenir.

Il est tout à fait certain que l’efficacité préventive de la souffrance dépend essentiellement de l’impression qui lui survit. Pour nous garder contre notre propre imprévoyance, elle doit laisser en nous une marque indélébile. Avec M. Ch. Richet, — celui de tous les physiologistes qui a le plus et le mieux écrit sur la douleur, — on peut comparer au retentissement d’une cloche l’émotion persistante de nos organes. L’airain résonne encore après que le branle a cessé, et notre oreille continue à percevoir ses vibrations alors que le choc qui les a produites ne dure pas une seconde.

S’il n’en était pas ainsi, si, aussitôt passée, l’excitation s’effaçait de notre mémoire, elle serait presque comme si elle n’existait pas.

Lorsque, suivant une légende édénique, Dieu chassa du paradis terrestre nos premiers parens, Eve portait déjà dans son sein le fruit vivant de sa faute. Pleurant sa félicité perdue, la tête courbée sous le courroux céleste, elle allait franchir le redoutable seuil, quand, voulant châtier en elle l’instigatrice du péché, le Seigneur, dans sa colère, lui lança cette dernière malédiction : « Tu enfanteras dans la douleur ! » — Mais, aussitôt, touché par le désespoir et les larmes de la pauvre exilée, regrettant son inclémence, l’Eternel ajouta : « Mais tu n’en garderas point le souvenir. »

Cette grâce concédée à la faiblesse féminine, — la grâce de l’oubli, — l’enfant l’a reçue également en partage. Durant les premiers mois et même les premières années de la vie, son cerveau perçoit peu distinctement, la douleur et se la remémore