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de nos jours, quoi qu’on en dise, la perspective d’un châtiment corporel ne reste-t-elle pas pour l’enfant, — comme aussi pour bien des adultes, — un remède souverain contre certaines révoltes ? Mieux que n’eussent pu le faire les plus sages conseils, la crainte des coups n’a-t-elle pas redressé maintes fois de vicieuses tendances et mis à la raison des volontés perverses, obstinément rebelles à toute influence morale ?

En cela cependant ne réside pas la principale utilité de la douleur. Son rôle pédagogique est et demeurera toujours secondaire. La nature, on le sait déjà, l’a chargée d’une mission plus haute, que nulle autre qu’elle ne pouvait mener à bien : celle d’assurer notre existence contre les agressions extérieures. Et voici comment s’exerce à notre insu sa bienveillante tutelle.

D’après un axiome universellement admis par la médecine moderne, il n’y a pas de douleur sans lésion. A dire vrai, l’impression n’est point constamment perçue à l’endroit même où siège la cause d’un mal ; celle-ci peut affecter, d’autre part, telle ou telle partie de notre corps sans émouvoir désagréablement nos sens. Mais un fait reste certain : c’est que l’éclosion d’une souffrance quelconque se lie fatalement à une altération de nos tissus, — altération tantôt légère, tantôt profonde, mais toujours offensive. Pour tout dire, un organe endolori est un organe lésé.

Cela, nous le savons d’instinct. Dès qu’apparaît un trouble douloureux, le sens intime nous prévient que notre ; santé est compromise ; et, consciente alors du péril, notre intelligence avise sans retard aux moyens de l’éloigner. Pour tirer d’elles un enseignement salutaire, il ne faudra même point que l’on ressente les premières secousses de la douleur : la perspective d’un accident pénible suffira pour exciter notre défiance, laquelle, à son tour, saura nous préserver, non pas seulement de la douleur elle-même, mais encore et surtout de la lésion qui l’aurait occasionnée.

La nature, on le voit maintenant, eût manqué de prudence, si, à côté du plaisir, qui nous fait aimer la vie, elle n’avait placé la souffrance, qui nous apprend à la conserver.

Cette grande vérité biologique, très vaguement soupçonnée par l’antique philosophie, on sera quelque peu surpris de la rencontrer sous la plume de Voltaire, qui pourtant n’était point un physiologiste. Il l’a très explicitement formulée en un fragment