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A ne considérer la douleur qu’au seul point de vue de ses qualités esthétiques et morales, il semble donc tout naturel que les philosophes, les artistes, les littérateurs, lesquels d’ailleurs ont trop volontiers identifié la souffrance passionnelle et la peine physique, en aient à l’envi exalté les vertus. — Reste à savoir si les biologistes, généralement peu accessibles aux raisons d’art ou de sentiment, sont disposés à partager cet optimisme.

Voici, d’un côté, le vivisecteur qui, au cours de ses expériences, se heurte à chaque instant à la douleur comme à un obstacle gênant. Voilà, d’autre part, un médecin dont le devoir le plus strict, — et en même temps le plus difficile à remplir, — est de la poursuivre à outrance partout où il la rencontre. Vous devrez, d’après cela, vous attendre à les voir tous deux, avec leur positivisme habituel, prendre en pitié l’enthousiasme des idéologues et soutenir une thèse opposée à la leur.

Or, je l’ai déclaré déjà, l’un et l’autre, joignant leurs voix à celles de ses plus ardens panégyristes, reconnaissent comme eux l’opportunité de la souffrance.

Voulez-vous entendre le médecin, lui d’abord, justifier cette soi-disant palinodie ? Depuis l’instant, vous dira-t-il, où la maladie s’est abattue sur le monde, — et l’humanité n’était pas née qu’elle existait déjà, — les manifestations douloureuses n’ont cessé de lui fournir des indications utiles. Suivant le mot de Spring, elles sont le cri d’alarme de l’organisme aux abois ; l’ennemi une fois dans la place, ce sont elles encore qui permettent, par leurs accalmies ou leurs recrudescences, de suivre comme dans un livre ouvert la marche oscillante de la lésion. Sans leur secours, le praticien serait souvent en peine de poser directement son diagnostic, d’instituer par conséquent en temps voulu un traitement rationnel.

Je veux bien que la science moderne ait mis à la portée du médecin mille autres moyens d’exploration, et que par là même ait passé au second rang la série des signes subjectifs auxquels l’école hippocratique attachait une excessive importance. Mais nombreux encore sont les cas où, pour l’homme de l’art, les déclarations du malade comportent de très profitables enseignemens. Et c’est à juste titre que, dans leur œuvre immense, les pathologistes réservent aujourd’hui non moins qu’autrefois une place d’honneur à l’étude de la souffrance.