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entrevoir la possibilité d’affranchir de toute souffrance, — autrement que par une narcose toujours quelque peu périlleuse, — les femmes vouées aux maternités futures.


Les efforts séculaires dirigés contre le mal physique ne sont donc pas demeurés stériles. Déjà les découvertes dont il vient d’être question ont mis entre nos mains, pour combattre notre éternel adversaire, des ressources inespérées ; et Dieu sait de quelles armes nouvelles encore plus solidement trempées l’avenir dotera nos successeurs, ceux qui, après nous, auront à continuer la lutte.

A voir ainsi se poursuivre à travers les âges cette guerre sans merci, qui croirait que des philosophes, des physiologues, des médecins aient osé proclamer au nom même de leur science l’utilité, plus encore, la nécessité de la souffrance ? N’est-ce point là une prétention insensée, une de ces thèses paradoxales, si chères à l’ancienne dialectique ?

Eh bien ! non. Quelque étrange que la chose paraisse, ceux-là seuls ont raison qui soutiennent que la douleur n’est pas un mal. Ici comme en bien d’autres circonstances, la nature semble s’être complu à travestir ses véritables intentions. Rétive à la curiosité des profanes, elle ne condescend d’ordinaire à livrer ses secrets qu’aux initiés vivant avec elle dans un commerce intime. Encore faut-il, pour les lui arracher, n’accepter qu’avec un certain scepticisme les confidences qu’elle paraît disposée à vous faire : ainsi qu’un insaisissable Protée, elle prend les formes les plus décevantes afin d’éluder les questions indiscrètes et ne rend ses oracles que si l’on parvient à la maîtriser.

En son temps, la sagesse antique avait cru découvrir la solution du problème. Donnant eux-mêmes l’exemple d’une inébranlable fermeté d’âme vis-à-vis de leurs propres souffrances, Zénon et les philosophes de son école affirmaient hautement déjà l’universelle opportunité de la douleur. On raconte à ce sujet qu’à la grande époque romaine, florissait dans l’île de Rhodes un stoïcien célèbre du nom de Posidonius. Le bruit de sa renommée étant parvenu aux oreilles du grand Pompée, celui-ci fut pris du désir de l’entendre et fit exprès la traversée pour assister à ses leçons. Un hasard néfaste voulut qu’au jour de cette visite, le maître fût cloué sur son lit par un violent accès de goutte. Ses vives souffrances ne l’empêchèrent point