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praticiens, à qui répugne encore son emploi. Et, je ne crains pas de le dire, il serait inexcusable, celui qui, mandé d’urgence auprès d’un patient en proie à une crise douloureuse, négligerait, ne fût-ce qu’une fois, d’emporter avec lui, en même temps que l’instrument de Pravaz, le précieux récipient dont les parois fragiles renferment, — matérialisés, — le sommeil et l’oubli.

Avec, d’une part, la stupeur profonde de la narcose et, de l’autre, le deux anéantissement où nous plonge la morphine, on pouvait croire que l’art de guérir avait enfin réalisé son idéal. Mais cela ne lui suffisait point encore. En maintes circonstances, lorsqu’il s’agit notamment d’une opération de petite chirurgie, il est désirable d’obtenir une dépression locale de la sensibilité. Cette dernière lacune, la découverte d’un médicament nouveau, la cocaïne, est venue la combler.

Extraite récemment par Niemann d’un végétal depuis longtemps connu, employée pour la première fois par Koller, en 1884, à l’effet d’anesthésier les membranes extérieures de l’œil, cet inappréciable remède a rapidement étendu le champ de ses applications. Et, pour ne mentionner que la plus brillante de ces innovations, — dont l’honneur revient à Léonard Corning, de New-York — on a pu réussir, en le mélangeant par injection directe au liquide qui baigne la moelle épinière, à rendre complètement inimpressionnable, la conscience restant intacte, toute la partie inférieure du corps. Ainsi pratiquée, la cocaïnisation détermine au bout de quelques minutes une anesthésie non moins absolue que si l’on avait sectionné de part en part la moelle épinière dans sa région dorsale.

Aussi, rien de plus curieux, de plus émerveillant que l’attitude du patient auquel on vient de conférer cette étrange immunité. Sous l’empire d’une sorte d’ébriété causée par l’injection, on le voit d’abord se préparer gaiement à l’opération projetée ; puis, celle-ci une fois commencée, il suit avec une attention quasi désintéressée les phases de l’acte chirurgical, conversant avec l’entourage, regardant couler son sang d’un œil placide, attendant sans émotion le terme d’une épreuve qui n’a pour lui rien de pénible.

Jaloux de ces succès opératoires, les accoucheurs eux-mêmes ont eu tout récemment l’idée de recourir à cette méthode pour soustraire leurs clientes aux douleurs de l’enfantement, et leur espoir n’a pas été déçu. De telle façon que, dès à présent, on peut