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vive souffrance. Toutes les injures extérieures, pour le dire en un mot, sont perçues par ses nerfs, hormis celle du feu.


On aurait, en vérité, beaucoup de peine à expliquer rationnellement l’ensemble de ces faits, si l’on ne consentait point à admettre comme une hypothèse inéluctable la diversité fonctionnelle des fibres sensitives, ou, pour mieux préciser, leur séparation en deux grandes catégories : les libres thermo-tactiles d’un côté, les fibres dolorifiques de l’autre.

Ce n’est pas cependant que cette manière de voir n’ait été contredite par des voix autorisées, bon nombre de physiologistes, — et non des moindres, — se refusent encore à l’adopter. Car, il faut bien l’avouer, elle paraît à première vue s’accommoder assez mal de l’infinie variété des aspects de la douleur.

Ouvrez un traité de médecine, — vieux ou nouveau, — consacré à l’étude des accidens morbides, et déjà vous pourrez vous former une idée de cette extrême multiplicité. Sous vos yeux vous verrez défiler la longue et lamentable théorie des souffrances humaines : depuis l’étreinte poignante dont le seul souvenir inspire aux sternalgiques une terreur indicible, depuis les affolantes fulgurances de l’ataxie, depuis l’inoubliable horreur des élancemens névralgiques jusqu’au point cruellement aigu de la pleuro-pneumonie, jusqu’à la cuisson persistante de l’érysipèle, jusqu’à l’excruciante courbature de l’influenza. Sans compter les tiraillemens de la faim, l’ardeur inextinguible de la soif et les poussées conquassantes de la parturition, qui, pour étrangers qu’ils soient au domaine de la morbidité, n’en constituent pas moins des phénomènes douloureux.

Notez que cette énumération ne comprend que des souffrances reconnues, étiquetées, des souffrances classiques, si je puis m’exprimer ainsi. Elle passe sous silence la multitude des douleurs innomées, celles que la science dogmatique n’a pas encore eu le loisir d’entériner. Celles-ci, le médecin lui-même n’en apprendra l’existence qu’en prêtant une oreille à la fois attentive et patiente, — patiente surtout, — aux doléances des hypocondriaques : doléances prolixes, confuses, incohérentes, où se succèdent, comme en un fantastique kaléidoscope, les plus subtiles assimilations et les comparaisons les plus baroques.

Aux confins de la douleur viennent se placer enfin une quantité d’impressions pénibles, moins insupportables qu’elle, mais