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recueillent les impressions calorifiques. Les premiers sont insensibles à la chaleur ; les seconds échappent à l’action des corps réfrigérans. A défaut de ceux-ci, nul de nous ne saurait ce que c’est que le froid, et nous n’aurions jamais chaud, si nous étions privés de ceux-là.

En spécialisant ainsi de plus en plus chacune de nos facultés tactiles, la nature n’a fait qu’obéir à cette grande loi physiologique sans laquelle il faudrait renoncer à tout progrès : la division du travail. — Et pourquoi maintenant, décidée à poursuivre jusqu’au bout l’application de cette règle, n’aurait-elle pas établi une démarcation non moins opportune entre les nerfs de la sensibilité normale et les nerfs dolorifiques, les uns réagissant uniquement vis-à-vis des impressions modérées, les autres plus lents à s’émouvoir et que peut seule mettre en branle une irritation violente ?

Si l’aphorisme de Pascal cité plus haut était rigoureusement vrai, si toute douleur intense supprimait immédiatement et radicalement la possibilité de sentir autre chose que la souffrance, la question qui vient d’être posée devrait recevoir, semble-t-il, une solution négative. Car cette substitution ne se comprendrait que dans l’hypothèse d’un conducteur unique, hors d’état de remplir deux offices à la fois.

Mais Pascal n’était ni un physiologiste, ni un médecin. Algébriste, géomètre, physicien, psychologue seulement par occasion, il devait s’attendre à rencontrer partout la rectitude inflexible des démonstrations mathématiques ; et son esprit, imbu de l’absolutisme des chiffres, ne pouvait accorder qu’une valeur secondaire aux innombrables contingences qui sans cesse contrarient l’évolution régulière des phénomènes vitaux. De là cette affirmation dogmatique d’un principe dont l’exactitude n’a rien que de relatif.

Entre la perception douloureuse et les sensations normales, il n’existe pas, en fait, cette opposition irréductible que Pascal, — et d’autres encore avant et après lui, — se sont plu à proclamer. Je veux bien que dans les conditions ordinaires cette incompatibilité s’observe le plus communément ; mais il est des circonstances où elle fait absolument défaut : et l’on aurait tort d’oublier qu’en matière biologique, les exceptions, au lieu de la corroborer, infirment presque toujours la règle.

Voici, entre autres, un cas où s’observe une semblable