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de rire de tout. » Sa morale est exactement celle de nos anciens comiques : dégoût du vice quand il est vieux, laid, sordide ; universelle indulgence pour tout ce qui est jeune, gracieux, aimant et gai. C’est une morale qui prend parti pour les servantes contre les maîtresses, pour les fils contre les pères, pour les débiteurs contre les créanciers, pour tous les révoltés contre toutes les lois. A quoi un jeune homme de bonne famille peut-il employer son temps, sinon à boire, à courir les filles, à faire des dettes ? Et à quoi sert un père, sinon à payer ces mêmes dettes ? Voici deux générations en présence l’une de l’autre dans un dessin de Rowlandson. Le père, un vieux squire au tricorne posé de travers, appuie résolument le menton sur le pommeau de sa canne et se détourne d’un air obstiné, mais goguenard. Le fils, un étudiant d’Oxford ou de Cambridge en robe et en toque, plaide, le bras étendu, souriant, patelin, insidieux. Et je me figure entendre ce dialogue : « Pas un sou, coquin, entends-tu ? — Père, elle était si gentille, cette petite !… Il faut que je te raconte… — Raconte, mais tu n’auras pas un farthing. — Et quelles bonnes farces nous avons faites ! Comme nous avons fait enrager les proctors !… Voyons, tu en faisais de bien pires, quand tu avais bu tes trois bouteilles de porto à souper. — Trois bouteilles, impertinent ? Jamais moins de six. — C’est admirable ! Ah ! quels gaillards vous étiez dans ce temps-là !… Alors, tu paieras ce juif ?… — Oui, mauvais drôle, je paie encore cette fois, mais n’y reviens plus ! Que je sois damné si, à la prochaine occasion, je ne te laisse bel et bien fourrer à la Fleet par tes créanciers ! »

C’est d’après ces principes, semble-t-il, que Rowlandson gouvernait sa propre vie ou, plutôt, la laissait dériver partout où la poussaient son humeur et sa fantaisie. La main ouverte, joyeux compagnon, excellent camarade, aussi fidèle en amitié que capricieux en amour, décidé à ignorer tous les autres devoirs de la vie ou à s’en moquer, il est le type accompli de l’artiste, tel qu’on le comprenait autrefois, c’est-à-dire la vivante antithèse du bourgeois, un enfant qui a les sens et l’imagination d’un homme adulte. Nous avons un portrait de lui qu’il introduisit dans un tableau exposé en 1787 à l’Académie royale. C’est une scène de jeu, dans un tripot, où de naïfs provinciaux sont dévalisés par des grecs. L’artiste s’est attribué sans vergogne le rôle d’un des escrocs. Nez fort et recourbé », menton nettement