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homme à travers les bouges de Seven Dials et de Drury Lane. Il ne trouve pas le voleur qu’il cherche, mais, intéressé par tout ce qu’il voit, il a vite oublié le motif de cette descente aux enfers. Il tire son carnet et esquisse quatre figures de buveurs assis à une table voisine de la sienne. Ces quatre hommes représentent, dans cette « cour des miracles » anglaise de la fin du XVIIIe siècle, la hiérarchie du vol, les quatre ordres qui constituent le monde de la pègre : le highwayman, ou brigand de grand chemin, qui attaque les diligences et les cavaliers ; le footpad, ou voleur de petit chemin, qui attaque, à pied, le passant isolé ; le house-breaker, qui s’introduit avec effraction dans les maisons habitées ; enfin, le pickpocket, le volereau qui exploite les foules de Londres et glisse une main adroite sous la basque de l’habit ou dans les profondeurs du gousset pour en extraire un mouchoir, une montre ou une tabatière.

Rowlandson visite Portsmouth, accompagné de son ami Angelo. On leur permet d’entrer dans l’hôpital où sont traités, — assez mal, je le crains, — nos pauvres prisonniers blessés. Un d’eux, qui, avant d’être défiguré par une horrible blessure, a été un bel homme et un brave soldat, est en train de rendre l’âme. Le spectacle est navrant et l’odeur de mort est terrible. Le maître d’armes, prêt à défaillir, s’éloigne. Rowlandson demeure au pied du lit. La curiosité de l’artiste supprime en lui la pitié et le dégoût. Il n’a qu’une pensée : fixer cette agonie qui s’offre à lui. En quatre coups de crayon, il la tient. Le cadre misérable de la scène, les amis en pleurs, le prêtre penché vers le lit, la face moribonde qui essaye de se coller au crucifix : tout est rendu avec une tragique et naïve simplicité, et je crois que les artistes me comprendront si j’ose écrire : avec une horrible bonhomie.

Voilà comment il emmagasine des impressions qui serviront de matériaux à son œuvre future et comment il retrempe sans cesse son inspiration dans la vivante réalité qui l’entoure. Son observation n’est jamais profonde, mais elle couvre, en surface, un champ presque indéfini, et les moyens dont elle dispose pour s’exprimer ne sont pas moins variés. Ne croyez pas que son expérience soit circonscrite au monde de l’élégance, de la galanterie et du plaisir où il se plaît de préférence ; s’il voit le soleil se lever dans les rues de Londres, évidemment c’est parce qu’il a oublié de se coucher ; mais, lorsqu’il me montre le soleil se