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années du XVIIIe siècle et les premières du XIXe. Mais il est plus vrai encore de dire que cette vogue les a suscités, leur a mis le crayon ou le burin à la main. Ce ne sont pas, disons-le tout de suite, de ces hauts génies qui suivent imperturbablement leur vocation à travers les épreuves, la misère, l’impopularité, l’oubli. Comme on va le voir, ils ont fait des caricatures parce qu’on leur demandait sans relâche des caricatures, parce que c’était la mode, parce que c’était la rage.

Les boutiques des marchands d’estampes, de 1770 à 1800, se multiplient et prennent de l’importance. On en voit dans toutes les parties de la ville ; chacune a sa spécialité et sa clientèle propre. Telle maison produit presque exclusivement des caricatures politiques ; telle autre s’adonne à la satire des mœurs ; une troisième exploite le sentiment antipapiste, alors ardemment ravivé ; une quatrième vit sur la haine de l’étranger, toujours vivace et facilement satisfaite ; enfin une cinquième cultive les sujets graveleux, qui ont, en tous pays, beaucoup d’amateurs vers la fin du XVIIIe siècle.

La caricature d’alors ne ressemblait pas à la nôtre. C’était un objet d’art et, par conséquent, un objet de luxe. Plusieurs artistes étaient nécessaires pour la mettre en état de paraître devant le public. Le dessin ou le tableau original était dû quelquefois à une double initiative : l’un des deux collaborateurs fournissait le sujet, l’autre disposait les élémens de la composition. Puis le graveur faisait son lent et minutieux travail, tantôt scrupuleux reproducteur de la pensée d’autrui, tantôt imprimant à l’œuvre sa propre originalité, corrigeant les fautes, rectifiant les contours, donnant de la finesse ou de la fermeté à une vague, mais suggestive ébauche. Les épreuves, peu nombreuses, étaient coloriées légèrement par des mains habiles. Elles se vendaient de quinze à trente shillings, atteignaient parfois cinq et même dix livres. Certaines épreuves de Rowlandson ont été payées cinquante guinées. Les plus riches pouvaient donc seuls prétendre à en orner leurs salons et à en faire jouir leurs amis. Mais, en même temps que la caricature était le régal de l’amateur aristocratique, elle obtenait, à la vitrine du marchand qui l’éditait, un succès populaire immédiat. La foule s’amassait devant la boutique ; on riait, les commentaires allaient leur train. Les gens disaient : « Avez-vous vu le nouveau dessin chez Humphry ? » comme ils diraient aujourd’hui : « Avez-vous lu le Times de ce matin ? » et, le rire