Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/776

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’ai essayé ici même, il y a plus de quinze ans[1], de caractériser la physionomie et l’œuvre de Hogarth. Puis, détourné par d’autres études, je me suis arrêté, en quelque sorte, au seuil de mon sujet, car l’âge d’or de la caricature coïncide avec les guerres de la Révolution et de l’Empire, et c’est à ce moment qu’elle devient un organe indispensable de la vie nationale, — aussi indispensable que la presse ou le théâtre à Paris en 1901, — en même temps qu’un document de premier ordre pour l’histoire de la société et des mœurs. Des événemens récens m’ont ramené vers ce passé.

J’ai donc greffé mes réflexions nouvelles sur mes impressions d’autrefois. Le témoignage des yeux, que je n’ai plus, a été contrôlé par la pensée, qui me reste. De cette façon, je puis convier le lecteur à une excursion dans un pays où tout sera formes concrètes, couleurs éclatantes, où les foules humaines de jadis reprendront vie, où les idées elles-mêmes s’habilleront de chair pour parler aux yeux et défileront au galop comme dans les visions mouvantes du cinématographe.


II

Hogarth laissait derrière lui une double tradition, la satire de la société et la caricature politique proprement dite. Il avait créé la première, lui avait donné sa forme analytique et dramatique, son caractère franchement réaliste. Quant à la seconde, il l’avait héritée de ses devanciers et la léguait à ses successeurs à peu près telle qu’il l’avait trouvée, c’est-à-dire avec cette forme allégorique et symbolique qui est nécessaire à la sécurité comme à l’inspiration des artistes. Dans la satire sociale, il ne devait être ni surpassé, ni égalé : dans la caricature politique, il avait été médiocre. Là aussi, pourtant, il avait imprimé sa marque en introduisant dans le mesquin rébus d’autrefois un élément d’observation et de vérité. Lui mort, il y eut quelques années d’interrègne. Puis parurent deux hommes qui semblèrent se partager les deux grandes provinces artistiques qui avaient formé l’empire de Hogarth. Ils s’appelaient Thomas Rowlandson et James Gillray.

Certes on peut affirmer qu’ils ont beaucoup contribué à la vogue prodigieuse de la caricature pendant les dernières

  1. Voyez la Revue du 15 janvier 1885.